On se lève tôt. Et on enfile de bonnes chaussures. Si le vélo est roi et les transports en commun bien organisés et efficaces, la marche est encore le meilleur moyen de visiter Amsterdam en un jour. Elle permet de profiter des grands sites et musées pour lesquels on fait le voyage, mais aussi des intervalles, du paysage urbain. On se sent baigner dans la ville cosmopolite. Que voit-on ainsi avec une simple journée devant soi ? Eh bien, pas mal de choses en fait, car l’héritage artistique hollandais vous en met plein les yeux à chaque coin de rue.
08h00
Présentations
Admettons que vous arriviez en train. L’architecte de la gare centrale, Pierre Cuypers, a peut-être établi les pôles de votre journée puisqu’il est aussi celui du Rijksmuseum, de l’autre côté de la ceinture de canaux. Cependant, pour l’heure, il s’agit de prendre un petit déjeuner. Et un contact initial avec la célèbre architecture des lieux. Du parvis de la gare, vous apercevez l’imposante église Saint Nicolas. En prenant à sa gauche, vous filez vers le red light district et Chinatown, où l’air du matin dissipe un peu les effluves de marijuana. En prenant à droite, vous allez vers l’Oude Kerk, la Vieille Eglise, où est enterrée Saskia van Uylenburgh, la femme de Rembrandt. Poursuivez au sud-est jusqu’à Niewmarkt. En chemin, des canaux qu’enjambent des ponts, que longent des pistes cyclables, aux flancs desquels sont arrimés des bateaux. Les façades de brique rougeâtre aux fenêtres sans paupières se succèdent dans une unité trompeuse : beaucoup plus diverses qu’à première vue. Elles ont suffisamment de hauteur pour n’être pas seulement jolies. Il y a ici le standing d’une capitale. A Niewmarkt, un marché et des cafés où prendre un petit déjeuner healthy. Les Néerlandais ont une sensibilité spéciale au naturel ; les étals sont d’ailleurs bio le samedi. Ils ont aussi tendance à mêler leur langue d’anglais sans affectation ni réticence. Ce qui détend, puisqu’on est rarement néerlandophone. Dans le bourdonnement de cette polyglossie (et en mangeant ses tartines), on contemple le plus ancien bâtiment civil in town, le Waag, ex-porte de la ville médiévale, par la suite affectée à diverses fonctions, dont celle de bascule publique.
Miquel GONZALEZ/LAIF-REA
09h00
Rembrandt, Van Gogh, Mondrian
D’un bon pas, on se dirige au sud-ouest, vers le Rijksmuseum. Plus on arrive tard, plus il y a de monde dans le musée national des Pays-Bas. Il n’est cependant pas question d’ignorer cette institution majeure. Il faut imaginer, sous le même toit, le Louvre, le musée Guimet, celui de Cluny, un peu d’Orsay, des Arts décoratifs et même une partie du musée de la Marine. La bonne idée serait d’avoir borné à l’avance ses intérêts et de se tenir à ce champ. Considérant que Rembrandt, Vermeer et Hals sont non négociables. Et que ce serait faire peu de cas de la gloire maritime des Pays-Bas que de snober l’admirable section des maquettes de bateaux anciens. La salle d’armes derrière… mais bon, on ne peut pas tout faire. Enfin, découvrir soudain la Ronde de nuit de Rembrandt, dans toute sa monumentalité, est un beng ! esthétique comme on en éprouve rarement. Un autoportrait de Van Gogh fait penser au musée qui lui est consacré : des tableaux de jeunesse, comme Les mangeurs de pommes de terre, aux dernières œuvres, dont l’orageux Champ de blé aux corbeaux, la première collection au monde. Et que dire du Stedelijk Museum ? Il dresse un panorama de l’art contemporain, de Van Gogh toujours à Bill Viola et Anne Imhof, en passant par Kasimir Malevitch, Piet Mondrian, Jackson Pollock, CoBrA, le pop art, on en passe et des meilleurs. Si le bâtiment d’Adriaan Willem Weissman s’inscrit dans la tradition de la Renaissance hollandaise, l’extension Benthem Crouwel marque une rupture décidée avec ce type d’historicisme. Encore une fois, et c’est heureux, on ne peut pas tout faire. Il faudra revenir.
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12h00
Déjeuner sur le pouce
L’estomac dans les talons, il est temps de recharger les batteries avant d’attaquer la deuxième partie de la journée. On reprend donc le chemin de la vieille ville pour dégoter un kiosque à poisson. Ces stands où l’on vend dans des petits pains ou des barquettes du matjes, le hareng nouveau, des filets d’anguille ou des morceaux de cabillaud panés et frits sont moins nombreux qu’autrefois, mais ils sont autant que le Rijksmuseum une institution amstellodamoise. Tant qu’ils sont ouverts, il y a la queue devant, constituée de personnes de tous statuts. Quelques bancs permettent de manger ce dont on a fait emplette. Une matinée musée autorisant, même au plus regardant sur les calories, de retourner au comptoir pour un second sandwich.
Gregor LENGLER/LAIF-REA
12h30
Oosterdok : les sciences et la marine
On lève le camp pour aller visiter le musée de la Marine, complément indispensable des salles de maquettes déjà évoquées. Si le kiosque à poisson n’a pas suffi, il est possible, au passage dans Chinatown, de compléter d’une part de canard laqué ou d’un riz sauté aux crevettes. Les Chinois d’Amsterdam ne se moquent pas de leur cuisine. Chemin faisant vers l’est de la gare, on complète son panorama d’architecture bourgeoise. Le Scheepvaartmuseum est installé sur l’Oosterdok dans l’ancien arsenal de la marine, vaste magasin XVIIe. Devant, l’Amsterdam, réplique à l’échelle 1 d’un navire marchand de la VOC, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. On peut s’y donner la sensation de prendre la mer. A l’intérieur, l’épopée maritime du pays : des ambitions, du canon, des épices. Et des documents cartographiques exceptionnels : portulans, atlas, planisphères ; une sphère armillaire de Jodocus Hondius, datant de 1618 ; un système solaire mécanique à six planètes du XVIIIe siècle. Les modèles de bateaux de plaisance documentent une flotte souvent négligée. Si on n’a pas tant que cela le goût des marées, on pourrait aller next door au musée scientifique NEMO. Bâtiment de Renzo Piano, il n’y a pas que des pignons à gradins à Amsterdam ! Dedans, une introduction participative à la méthode scientifique et à ses applications. Enfants comme adultes sont invités à se faire laborantins et à cheminer sur les chemins buissonniers de la connaissance. Une version maousse des anciens ouvrages de science amusante en quelque sorte. Les mathématiques dans la vie de tous les jours, la nature des machines, un baiser avec une langue géante, etc. Le toit terrasse incliné est l’occasion d’un bien agréable moment de récupération.
Nikolay N. Antonov / Adobe Stock
15h00
Aller sur l’eau
Ces bateaux que vous avez vu passer sous les ponts, avec à leur bord des gens à qui l’on sert une collation et qu’on régale d’anecdotes à propos de l’histoire municipale, il serait peut-être temps d’y monter. D’autant que vous avez bien crapahuté jusqu’ici. Les canaux et les bassins, c’est bien du bord, c’est encore mieux dessus. Embarcations et formules varient. Les premières peuvent être des canots ouverts en fibre de verre ou de petits bateaux de bois vitrés et clos, ou des bateaux mouches en bonne et due forme. Les formules d’itinéraire tiennent au format et à la durée. Dans tous les cas, c’est un plaisir que cette navigation urbaine, ce nouveau point de vue sur les alignements de pignons équipés du fameux crochet permettant de faire monter ou descendre ce qui coincerait dans l’escalier (et il n’était pas nécessaire que ce fût très gros). Certains ponts relèvent leur tablier pour vous laisser passer. Une courtoisie hydraulique que vous fait Amsterdam. Le trafic sur les canaux (anciens ouvrages défensifs) a été essentiel à l’économie de la cité. Ce réseau en éventail en était un peu le système vasculaire : il véhiculait et distribuait les éléments nécessaires à l’organisme. Le tourisme prend la suite des nécessités. A bord, avec un verre de vin, on vous propose l’un de ces fromages de Hollande dont le Français le plus imbu de sa tradition dans ce domaine doit convenir qu’il est bon.
Judith JOCKEL/Laif-REA
17h00
Deux havres
Dans l’Amsterdam médiéval, celui que délimite le canal Singel, celui où tout le monde va, on trouve encore des havres surprenants, comme le béguinage. Cour ancienne bordée de maisons, dont la plus vieille de la ville, het Houten Huys, début du XVIe siècle. Le portillon passé, plus de bruit. Une pelouse, un chemin qui en fait le tour, un banc. La porte de l’église anglaise. Un Christ et la statue de bronze de l’une de ces béguines. Il s’agissait de personnes religieuses mais laïques, vivant en proximité - plus peut-être qu’en communauté formelle - hors de ces grandes institutions qu’étaient le mariage et les ordres monastiques. Après un essor favorable au début du XIIIe siècle, le mouvement a été condamné à géométrie variable par les autorités ecclésiastiques. Le béguinage d’Amsterdam est un endroit vraiment paisible et harmonieux. Et puis, à 18h, il ferme. Alors, on va au Pilsener Club, Begijnensteeg. L’un des fameux estaminets traditionnels, les cafés bruns. A cette heure, les clients qui occupent les quelques tables sont des habitués. Comme eux, qui sortent du travail, on prend un verre de bière. La brasserie hollandaise se renouvelle. Et pour accompagner, un genièvre. Le bar est bien fourni et le serveur de conseil avisé. La journée a été bien remplie et on sirote en pleine sécurité morale : ce coup à boire, on ne l’a pas volé. Vous vous sentez tout près d’être adopté. Impression singulière dans une ville aussi cosmopolite.
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19h00
Soirée before
A l’ouest des anciens canaux se trouve le plus stimulant peut-être des secteurs d’Amsterdam aujourd’hui. Vieux quartier d’artisans, ouvriers et huguenots, Jordaan est - en dépit de la gentrification en cours - gardien d’un certain esprit amstellodamois. Celui des petites gens. Il a eu son chanteur, Johnny Jordaan, dont les chansons populaires néerlandaises sont connues de tous. On y trouve d’autres cafés bruns, encore dignes de ce nom et relais d’un entre-soi pas exempt d’autodérision. Nostalgique, pittoresque, tolérant, mais aussi renouvelé par des galeries d’art, salles de spectacle, clubs et autres restaurants environmentally conscious, ainsi va Jordaan. La maison d’Anne Frank, les Stolpersteine et l’Homomonument, mémorial de la persécution nazie des homosexuels, rappellent des heures sombres et incitent à la vigilance. Ce qui n’est pas incompatible avec l’expression d’un certain bonheur de vivre, une fois les points bien sur les i. Le soir, la nuit, Jordaan est particulièrement séduisant. Pour dîner, vous pouvez aussi choisir de sacrifier à une espèce de rituel que les Néerlandais ont établi en Indonésie : la rijstaffel. Il s’agit, en une ribambelle de petits plats, de se donner un panorama de la cuisine de la Sonde : empal gentong, gudeg, nasi goreng, opor ayam, satay, etc. Le dispositif est opulent et on doit prendre son temps pour en profiter pleinement. Les saveurs entraînent, il faut donc savoir se maîtriser pour profiter de toutes.
Sleurink / Pexels
22h00
Soirée after
On l’aura compris, Jordaan offre des options pour une soirée. Néanmoins, pour in qu’il soit, le quartier ne vampirise pas la vie nocturne. On peut se transporter un peu au sud, par exemple, à Leidseplein, où sont des centres d’art et discothèques parmi les plus turbulents de la capitale. Le Paradiso est installé dans une église désacralisée et reçoit sur scène la fine fleur de la jeune garde internationale. Lorsque celle-ci a fini d’électriser la salle, les DJs entrent en scène pour l’atomiser. La Voie lactée a au compteur plusieurs décennies de bons et loyaux services ; reggae, dubstep, jungle, indie, elle tient toujours la rampe. Et on peut entendre dans cette laiterie réformée les nouveaux venus de la scène de l’Amstel. Le côté chinois de Dr Jimmy Woo est bien plaisant au lounge ; au dancefloor, son côté Mr Hyde bénéficie du meilleur sound system du pays. A son tour, Leidseplein n’épuise pas la nuit. Il faudrait parler de Rembrandtplein. Qui, elle-même, etc.
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00h00
Revenez-y
C’est déjà demain ; votre carrosse est redevenu citrouille. Mais vous avez perdu en ville l’une de vos sneakers. Vous reviendrez donc pour la récupérer et faire ce que, faute de temps, vous n’avez pas fait : assister à un concert au Concertgebouw ; passer quelques heures détente et création au NDSM Warf ; visiter une église au grenier ; voir un film à l’EYE Film Instituut Nederland ; passer en revue les édifices de l’école d’Amsterdam ; explorer le parc zoologique d’ARTIS ; acheter tulipes, pivoines et azalées au marché aux fleurs ; respirer au Vondelpark ; trinquer avec Freddy Heineken à Heineken Experience ; chiner au Noordermarkt de Jordaan… Et pédaler où vous voudrez.
Par
EMMANUEL BOUTAN
Photographie de couverture : MKavalenkau / Adobe Stock