Grèce

Hydra la Muse

Hydra la Muse

Île-refuge sans voiture et sans âge, Hydra inspire tout en invitant à la simplicité. “Esthétiquement parfaite” selon l’écrivain Henry Miller, prisée par l’intelligentsia comme la jet-set, elle fut adoptée par le chanteur canadien Leonard Cohen, qui y élut domicile plusieurs années dès 1960.

 

Dans le golfe Saronique, pas très loin d’Athènes (entre une heure et trois heures environ selon le ferry), Hydra apparaît au détour d’une montagne austère. Un petit port de carte postale, des caïques et yachts dormant sur l’eau face aux cafés sagement alignés. L’île s’étire sur 50 kilomètres carrés, terre aride semée de maisons blanches qui partent à l’assaut des hauteurs escarpées. Les oliviers et les citronniers commencent là où les maisons s’arrêtent, grimpant toujours plus haut jusqu’aux sommets rocheux. Ne cherchez pas de voiture : il n’y en a pas. L’île se parcourt aujourd’hui à pied, comme hier, comme demain. Car Hydra existe au-delà des âges, au-delà des modes, au-delà des hommes. Ce sont pourtant eux qui en ont fait une île-muse. “Esthétiquement parfaite”, écrit Henry Miller à la fin des années 1930, c’est à Hydra que l’écrivain new-yorkais trouve l’inspiration et la matière de son récit Le Colosse de Maroussi (1939). Il est alors accueilli par une figure du cubisme grec, le peintre Nikos Khatzikyriakos-Ghikas, qui ouvre aussi les portes de son immense villa à d’autres prestigieux écrivains voyageurs tels Lawrence Durrell et Patrick Leigh Fermor. Sans le savoir, Ghikas fait d’Hydra ce qu’elle deviendra : le rendez-vous des artistes, un refuge chic et bohème.

ruelle d'Hydra

Jansienkiewicz/stock.adobe.com

 

Décor de cinéma naturel

Avance rapide jusque dans les années 1950, où les producteurs d’Hollywood la découvrent à leur tour. Sa beauté sauvage les subjugue. Le réalisateur Jean Negulesco y tourne Ombres sous la mer (1957). L’histoire d’une pêcheuse d’éponges découvrant une sculpture d’or dotée de pouvoirs surnaturels. Elle est incarnée par Sophia Loren, sublime, qui prête aussi sa voix à la BO du film. Et Hydra de devenir alors une île glamour, portant le Tout-Hollywood sur ses sentiers de pierre. La même année, Hydra sert de décor au film grec La Fille en noir, réalisé par Michael Cacoyannis et salué par la critique internationale. En 1962, ce sont Jules Dassin, Melina Mercouri et Anthony Perkins qui accostent pour le tournage de Phaedra. Au milieu de ce ballet d’artistes qui vont et viennent, il en est un qui s’y installe pour sept ans : l’auteur-compositeur et interprète canadien Leonard Cohen. Sa rencontre avec Hydra tient d’un script de film, qu’il s’est plu à raconter souvent. En 1960, il quitte le Canada pour Londres. Un jour d’avril, alors qu’il arpente Bank Street sous la pluie, il passe devant la Banque de Grèce, s’arrête, s’adresse à l’un des guichetiers et, se fiant à sa mine bronzée, lui demande quelle est la météo dans son pays : “C’est le printemps”, répond l’employé. Deux jours plus tard, Leonard Cohen saute dans un avion pour la Grèce et, après une brève escale à Athènes, embarque pour Hydra.

Mer Hydra

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Égérie bohème-chic

À l’époque, l’île compte 2 000 habitants. Parmi eux, une poignée d’artistes étrangers venus goûter à la douceur de vivre méditerranéenne, comme les écrivains australiens George Johnston et Charmian Clift, le Suédois Axel Jensen et sa femme la Norvégienne Marianne Ihlen – qui deviendra la compagne de Leonard Cohen, jusqu’à la rupture et la chanson So Long, Marianne. Dans la petite maison blanche aux volets de bois gris que Leonard Cohen achète alors pour 1 500 dollars, ni eau ni électricité. Seule la promesse d’une vie simple et heureuse, qu’il célèbre dans le poème Days of Kindness. Un quotidien rythmé d’écriture sur la terrasse à l’aube, de quelques brasses le long de la côte l’après-midi, de soirées avec Marianne et ses amis – guitare, littérature et ouzo - dans leur taverne de prédilection, O Peiratis.

Port d'Hydra

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Dans les années qui suivent, Hydra devient une Capri grecque, sous l’influence conjuguée d’Hollywood et de visiteurs comme Artistote Onassis et Maria Callas, puis Onassis et Jackie Kennedy, les Stones, Eric Clapton… Aujourd’hui encore, Hydra continue de mêler rusticité et mondanités, telle une égérie bohème-chic s’amusant à cultiver les paradoxes. Aux dernières lueurs du jour, elle renoue avec la sérénité que tous sont venus y chercher. Île-muse un jour, île-muse toujours.

 

Photographie de couverture : Dagmar Schwelle/LAIF-REA