La sensation de fouler une terre sacrée, les paysages bibliques face au Mont Ararat, les lignes sobres des monastères haut perchés, les sonorités du jazz qui s’échappe des terrasses, la rondeur du vin bu sous les tonnelles : on aime tout de l’Arménie.
Premier choc sur le trajet entre l’aéroport et Erevan : les abords de la ville sont un Las Vegas caucasien, version kitsch post-soviétique. Début de soirée à Erevan, atmosphère de douce insouciance, les rues résonnent des sonorités du jazz arménien, les terrasses des cafés sont prises d’assaut par des touristes iraniennes, maquillage appuyé et tenue légère – venues passer un week-end à Erevan pour savourer la liberté de boire un verre en terrasse, cheveux au vent.
Sur l’avenue Machtotz, ex-avenue Lénine, le Maténadaran, « la bibliothèque », et son incroyable collection de 20 000 manuscrits enluminés : on saisit combien le christianisme, proclamé religion officielle en 314, a forgé le pays. Et à Etchmiadzine, en banlieue d’Erevan, siège de l’Eglise apostolique arménienne – un « Vatican » d’Orient – foule de visages éclairés par la lumière des cierges, mouvements de rideau et d’encensoirs devant l’autel, chorale aux voix ardentes, qui disent la persistance d’une foi chrétienne, lien vital d’une communauté violemment bousculée par l’Histoire.
Un peu plus loin, à Garni, les orgues basaltiques dessinent un spectaculaire paysage, écrin au temple hellénistique et à ses mosaïques gréco-romaines, les seules de tout l’ex-URSS. On prend la route vers le sud : le monastère fortifié de Khor Virap est posé sur une colline qui fait face au mont Ararat, que l’Histoire a relégué de l’autre côté de la frontière, si loin, si proche. Ararat domine la plaine aride, dôme aux lignes parfaites, éblouissant spectacle des neiges éternelles. C’est sur ses hauteurs que Noé, sa femme, ses fils et tous les animaux de la création ont échoué ; c’est ici que le monde s’est repeuplé après le Déluge, nous dit la Genèse – les Arméniens le considèrent comme le centre du monde.
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La route s’engage dans un étroit canyon, parcourue par d’anciennes Lada ; et perché sur la montagne, comme au bout du monde, le monastère de Noravank. Plein sud, frontière avec l’Azerbaïdjan, paysages minéraux ocre et gris, horizons pelés, ciel bleu pur ; et des bergers à cheval qui mènent de grands troupeaux de moutons. Une route escarpée mène au village qui surplombe le monastère de Tatev. Un déjeuner chez l’habitant, dans un jardin ombragé : khorovats, brochettes de viande, herbes fraiches : menthe, coriandre, estragon, ciboulette, enveloppées dans le lavash (un pain souple, à haute valeur symbolique, inscrit au patrimoine de l’Unesco). Dans cette région, où, faut-il le rappeler, Noé a planté la vigne, et où on élève toujours le vin en amphore, ces agapes sont complétées d’un vin très fruité, aux arômes de cerise noire. « Anush Ellah » « que cela soit doux à votre palais » !
Cap sur le nord : lac Sevan, l’un des plus vastes lacs d’altitude au monde, l’une des trois « mers » arméniennes (le seul situé dans les frontières actuelles de l’Arménie – Van est en Turquie, Ourmia en Iran), célébré par Maxime Gorki comme « un morceau de ciel qui serait tombé sur terre parmi les nuages ». Et le cimetière de Noradouz, qui, pour le néophyte, cultive des airs irlandais – des moutons paissent entre les stèles de pierre, des khatchars pourtant typiquement arméniennes.
On clôt ce voyage au pays des pierres (c’est ainsi que les Arméniens nomment leur pays, qui racontent qu’après la création du monde, Dieu l’aurait choisit pour déverser son excédent de roches) aux monastères de Haghpat et Sanahin, qui se font face de part et d’autre d’un ravin. Ancrés dans la terre, tournés vers les nuages.