Yogi des temps modernes, voix posée émanant d’un être en mouvement perpétuel : Mika de Brito, professeur de Yoga, aime dérouler son tapis aux quatre coins de la planète. Pour Voyageurs du Monde, il s’apprête à accompagner une série de grands voyages qui le mèneront, lui et ses disciples, de l’Islande au Japon.
Décryptage entre deux respirations.
Quel intérêt selon vous d’associer découverte d’un pays et pratique du yoga ?
Dans un voyage il y a toujours plusieurs voyages. Le yoga en est un, tout simplement. Le contact avec le monde qui nous entoure et la relation aux autres nous amène à une exploration plus personnelle, un voyage intérieur. L’une des forces du yoga est d’unir ces trois composantes essentielles : le monde, les autres et soi. Le voyage et le yoga ont par ailleurs un point commun majeur : la transformation. Allier les deux, revient à vérifier ce poème mongol qui dit — pour qu’ailleurs devienne ici et qu’au retour, en retour, ici devienne ailleurs — j’aime cette loi des contraires.
L’Inde est généralement la destination que l’on associe à la discipline, pourtant ce n’est pas la première vers laquelle vous emmènerez votre groupe, pourquoi ?
Le yoga ne s’arrête pas à l’Inde ! D’ailleurs dans ce pays la pratique est restée jusqu’aux années 50 réservée à une élite. Il existe un énorme fantasme sur l’Inde, mais la sagesse humaine n’a jamais connu de frontière, elle est partout, en Occident, au Moyen Orient. Il faut néanmoins reconnaître la force de la tradition hindoue qui depuis des millénaires a permis de condenser une somme de connaissances incroyables. Un véritable sillon creusé dans la roche qui nous permet aujourd’hui de l’atteindre directement. Et puis partir en Inde, avec ou sans le yoga, permet de se retrouver dans des lieux hors du temps. Je me souviens d’une partie d’échecs disputée sur un toit de Rishikesh, face à un homme à la barbe et aux cheveux longs, drapé dans une toge de lin. Dans les parfums d’encens, j’avais l’impression d’être face à Patañjali ! On touche là véritablement à l’Histoire.
Vous partez notamment en Égypte, un pays plutôt lié à l’Histoire qu’au yoga…
Le yoga a toujours existé en Égypte. On y trouve des traces très anciennes de la pratique et de grands yogis. Voyager dans ce pays et pratiquer au lever du soleil, le dieu Râ, est donc tout naturel. C’est effectivement un véritable voyage dans le temps, un trait d’union avec l’histoire, à la découverte d’une culture et d’une religion. Le yoga permet aussi un rapprochement spirituel sans être religieux. Aller vers l’autre, et être à l’écoute comme préconisait le vizir Pthahotep. Aujourd’hui, c’est une chose oubliée, tout va très vite, on accorde peu d’importance à la « patine » du temps. L’Égypte permet de toucher à la poussière de l’Histoire.
Ce voyage se déroule sur le Steam Ship Sudan, un vapeur centenaire, cela a-t-il son importance ?
En dehors de l’histoire et de l’esthétisme de ce navire, de la grande quiétude qui émane de la navigation sur le Nil et du défilement des berges, des temples, il y a le fait de se retrouver en petit groupe dans le même bateau (N.D.L.R. : le bateau est privatisé pour l’occasion). Une immersion commune, l’occasion de vivre ensemble. C’est une bonne réflexion sur la vie, car si nous ne sommes pas obligés de s’aimer les uns les autres, il faut bien reconnaître que l’on doit apprendre à vivre ensemble, tout en préservant son individualité. Sur le bateau les rencontres se font naturellement, sur le pont, dans un transat, au salon. Ce voyage est aussi l’occasion de pratiquer en groupe tout en se concentrant sur son « temple intérieur ».
Comment harmonisez-vous les cours, quel programme proposez-vous ?
Je refuse d’avoir une approche didactique et formatée de la discipline. J’adapte le type de yoga et le niveau en fonction de chaque individualité. Les plus avancés ont ainsi l’occasion de ralentir pour mieux s’écouter. Les novices profitent de l’émulation. Chacun travaille ses gammes à son rythme pour atteindre une même fluidité. En dehors de nos deux rendez-vous quotidiens et des éventuelles visites, nous ne cherchons pas à remplir à tout prix le vide des journées ! La navigation offre une activité rare et merveilleuse : l’oisiveté. S’allonger, sentir le vent, se laisser flotter, regarder défiler les berges. Une chose que l’on fait rarement, même en voyage.
Un premier pas vers la méditation ? À ce sujet, vous irez également en Afrique du Sud dans un lieu particulier, racontez-nous…
Il s’agit d’une maison de Johannesburg dans laquelle vécut Gandhi, au début du siècle dernier. C’est là, en partie, qu’il a développé les fondements de sa philosophie, la Satyagraha, force de la vérité en sanskrit, celle qui a guidé ses mouvements de contestation passive. Restaurée en maison d’hôtes et musée par Voyageurs du Monde, la Satyagraha House nous reçoit. C’est la chance de pouvoir littéralement toucher le quotidien du Mahatma et ainsi dépasser le mythe, en faisant un voyage plutôt vers l’humain et sa relation aux autres. Car les humains qui ont atteint la sagesse sont avant tout des humains !
Vous profiterez donc de l’esprit des lieux pour pratiquer yoga et méditation ?
Bien sûr nous aurons des séances quotidiennes de yoga. En revanche, la méditation ne se travaille pas, selon, moi, elle vient à vous comme le rêve. Nous essayerons donc plutôt de trouver un bon matelas mental, de n’avoir mal nulle part pour bien s’endormir.
Cela peut effectivement passer par la pratique de postures, parfois inconfortables, que nous travaillerons jusqu’à ce qu’elles le deviennent. L’objectif étant de se débarrasser de la contrainte du corps et d’installer la respiration sur des rails. Alors pourra se poser la méditation, comme une plume sur notre esprit. Cette rencontre avec Gandhi dans un pays qui a connu l’apartheid, c’est aussi l’occasion de passer du slogan à l’action. De vivre véritablement son « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » plutôt que de se contenter d’y croire. Le yoga permet de réaliser cette révolution alchimique : lorsque ce que je dis, ce que je pense et ce que je fais, ne font plus qu’un.
Autre voyage prévu, le Maroc : que vous inspire ce pays ?
C’est d’abord une terre spirituelle, à travers ses cultures musulmane et berbère, à travers ses paysages. L’Atlas qui évoque sans cesse l’Himalaya, et bien sûr, le désert. Un miroir, qui permet enfin d’entendre l’écho de sa propre voix, chose impossible dans un quotidien urbain constamment assourdissant de stimuli. Un tel lieu impose la déconnexion. Cela ne veut pas dire rejeter la modernité mais au contraire profiter de cette parenthèse intense pour redonner plus de sens à sa vie de tous les jours. Le Maroc est ainsi pour moi une terre propice aux transformations que connaît chaque civilisation, chaque génération, chaque humain. Ce n’est peut-être pas un hasard si ce pays a accueilli la Beat Generation des Burroughs, Kerouac et Ginsberg qui fuyait le conservatisme et qui finalement a bouleversé notre façon de pensée. Or le yoga est un art de la transformation, ils vont donc bien ensemble.
Votre premier départ vous mènera en Islande, quelle est cette fois la dimension de ce voyage ?
En Islande, il s’agit clairement d’aller vers la nature. Se retrouver face à des éléments qui nous dépassent et forçent à la déconnexion totale, au dépassement de soi. Souvent hostile, cette nature oblige à s’adapter pour trouver un équilibre et le confort en son moi intérieur. Une dimension qui rejoint là encore le yoga. Dans la contemplation, il s’agit de retrouver ce lien entre la nature et l’infini petit qui est en soi. Ce n’est pas une poésie des mots mais bien une relation à laquelle on participe activement. Pour être heureux, il faut apprendre à s’adapter, abandonner ces certitudes, apprendre à surfer sur la vie comme sur une vague puissante, se laisser guider par ce « grand mystère », comme le nomment les Amérindiens. Au Japon, où nous irons également, la culture animiste chamanique, à l’origine du zen, accorde une place essentielle aux esprits de la nature. Cela n’empêche pas à une société urbaine et moderne d’exister, au contraire les deux éléments cohabitent intelligemment.
Comment expliquez-vous l’engouement actuel pour le yoga ?
Nous sortons d’une ère industrielle à l’origine de très belles choses : le confort matériel, la technologie, la possibilité de voyager loin et rapidement. C’est enrichissant mais pour autant notre cœur est sec. Chacun cherche donc à le nourrir, à trouver plus de sens à sa vie, à vivre plutôt de sa passion que par raison. Le yoga est un moyen parmi d’autres de répondre à ce vide. Il a donc logiquement trouvé sa place dans la société de consommation.
Et quelle est votre place ? Avez-vous un rôle à jouer ?
Le yoga n’a besoin de personne pour exister. S’il continue à être pratiqué depuis 5000 ans, c’est bien que ces valeurs sont fortes, qu’elles dépassent le temps et la forme. Je ne suis que de passage. Simplement j’ai la chance depuis ma rencontre fortuite avec le yoga, de vivre avec une grande liberté, une grande confiance en la vie, et cette chance de pouvoir la dessiner à ma manière. Chacun peut y aspirer et si je peux partager mon expérience cela me rend heureux.
Vous partagez cette expérience à travers vos cours ?
Les cours sont effectivement un bon moyen de partager mais dans leur forme classique ils s’apparentent souvent à une prestation de service confortable, comme on prendrait un cours de tennis. C’est tout ce que je veux éviter ! Ce qui m’intéresse dans le yoga c’est justement de traverser des zones inconfortables, comme dans un cyclone, pour un jour, aller s’installer dans l’œil du cyclone, où règne le calme. Cela permet ensuite d’aborder la vie et ses tempêtes de manière détachée.
Ces voyages dépassent donc la simple pratique du yoga ?
Oui, je les vois plutôt comme des voyages initiatiques. Au delà du yoga il s’agit d’une rencontre avec l’Histoire, avec une autre culture, une spiritualité, avec les forces de la nature, et finalement avec soi. C’est aussi une rencontre entre un individu et un maître.
Quelle serait pour vous la prolongation idéale à ces voyages ?
Je rêve de pousser plus loin l’initiation spirituelle à travers des voyages de plusieurs semaines, en tête à tête. Il ne s’agirait plus simplement de yoga, on commencerait peut-être par l’ascension d’un sommet dans l’Himalaya, puis nous irions nous poser dans une grotte que je connais, sans autre but que d’être à l’écoute, avant peut être de poursuivre cette quête sur une plage. Si la notion de maître est aujourd’hui un peu floue, il n’est pourtant ni plus ni moins qu’un artisan du corps et de l’esprit qui détient une connaissance et la partage à la manière des compagnons charpentiers. Un grand frère qui plutôt que de parler de lâcher-prise, vous propose de le vivre en sautant d’un avion ! C’est un guide de haute-montagne qui à force de l’ avoir emprunté, connaît parfaitement le chemin et vous emmène au sommet. Une fois là-haut, chacun est à la même hauteur.
Par
BAPTISTE BRIAND
Photographies
DOMINIQUE FILHOL