Avec Baptiste Briand, responsable du magazine Vacance de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial, président de Voyageurs du Monde, Michel-Yves Labbé, président de l’application Départ Demain et Bruno Meyerfeld - au téléphone -, correspondant de Radio France à Nairobi et auteur du livre Les séisme du rift, publié chez L’Ame des Peuples.
Un pays dont les touristes se sont éloignés
Des problèmes politiques, des attentats mais aussi un tourisme de masse ont rendu le Kenya moins populaire ces dernières années : tel est le constat de Valérie Expert. « Il y a quinze ans, le Kenya était un pays de tourisme de luxe, Out of Africa, les safaris. Puis il y a eu trois dérives : les safaris qui se sont ridiculisés avec des bus qui se succédaient pour voir un lion, un tourisme balnéaire de masse vers Mombasa, et les tensions politiques, les attentats, la pauvreté à Nairobi », résume Jean-François Rial. Pourtant, le Kenya est selon lui, « l’un des pays les plus spectaculaires en terme de paysages, de savane et d’imaginaire, que l’on peut voir en Afrique ».
Anika Buessemeier/LAIF-REA
Pourquoi y aller ?
On voyage au Kenya pour ses paysages : de la savane au désert en passant par les montagnes. « On y va aussi pour les gens, extrêmement gentils et accueillants », ajoute Michel-Yves Labbé, pour qui le pays reste quand même synonyme de safaris - le mot « safari » signifie d’ailleurs « voyage » en Swahili - . Il mentionne aussi le balnéaire, « assez agréable avec des petits hôtels de charme à des prix très raisonnables ». A propos du balnéaire, il parle cependant d’infrastructures qui ont vieilli et qui, ayant reçu beaucoup de touristes, n’ont pas été bien entretenues. « Et puis, il y a eu ce problème de harcèlement sur les plages avec les Beach Boys, pas très agréable pour les touristes », surenchérit Jean-François Rial. Des désagréments qui sont aujourd’hui réglementés par les hoteliers. « Il suffit de dire aux Beach Boys que vous n’êtes pas intéressé dès le premier jour et ils vous laissent tranquille », rassure Michel-Yves Labbé.
Un Kenya oublié
Baptiste Briand revient d’un voyage à la recherche d’un Kenya oublié, vers le nord et l’île de Lamu. « C’était une destination touristique dans les années 70, qui s’est développée dans les années 90. Des grandes familles ont acheté des maisons là-bas. La ville de Lamu est l'un des berceaux de la civilisation Swahili. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, elle a 700 ans et est restée intacte. On y voyage dans le temps », raconte Baptiste Briand. Jean-François Rial parle d’un petit bijou, de « mélange d’architecture africaine, indienne, bantoue ». On y retrouve aussi l’influence omanaise, dans les maisons en enfilade, que l’on peut visiter.
Jens Schwarz/LAIF-REA
Cependant, le tourisme s’arrête brutalement en 2011 à Lamu à cause d’un attentat et de la prise d’otage d’une Française qui tourne très mal. « Plus personne n’a visité Lamu depuis quasiment sept ans. Le tourisme commence à peine à repartir », constate Baptiste Briand.
Les nuages du Kenya
Grand amoureux du Kenya, Bruno Meyerfeld vient de publier le livre Les Séismes du Rift, un ouvrage qui commence par une citation de Joseph Kessel : « Et dans le grand ciel africain, voguaient les nuages du Kenya, les plus beaux de monde ». Bruno Meyerfeld confirme : « C’est spectaculaire de voir le soleil se coucher et les nuages qui volent dans le ciel ». Il revient ensuite sur la variété des paysages du pays, « sur un territoire à peine grand comme la France », les savanes au sud, les forêts équatoriales à l’ouest, les plages, le Mont Kenya qui culmine à 5 000 m avec des glaciers, des déserts au nord-est. « En dix jours au Kenya, on peut avoir l’impression de parcourir dix pays africains ». Puis la conversation évolue vers la politique du pays et sur la militante féministe, démocratique et écologiste Wangari Maathai. Bruno Meyerfeld raconte qu’elle fut mise en prison parce qu’elle voulait divorcer de son mari, « un des prix Nobel de la paix les plus légitimes de ces dernières années : elle a tout inventé dans le militantisme africain ». Il enchaîne sur l’histoire du pays, sur le régime colonial terrible, l’un des pires du système britannique : « les répressions des premières révoltes des Mau Mau dans les années 50 furent terribles. Il y aurait eu entre 100 000 et 300 000 morts. Puis le pays a connu quarante ans de cycles dictatoriaux et derrière les paysages et le tourisme « safaristique », c’est un pays avec une âme bien plus complexe qu’on peut l’imaginer », souligne Bruno Meyerfeld.
Organiser son voyage
« On peut par exemple combiner Lamu avec Nairobi qui est une ville intéressante à découvrir, avec une culture contemporaine, des galeries, des restaurants », suggère Baptiste Briand avant de mentionner aussi les hauts plateaux de Laikipia et la réserve de Borana que certains comparent à un nouveau Maasai Mara. On y trouve en effet très peu d’activité humaine et beaucoup d’animaux. Jean-François Rial revient sur la beauté des paysages : « tout le monde pense au Kenya pour aller faire des safaris et voir des animaux, or ce qui est plus exceptionnel ce sont les paysages : Nakuru et Samburu sont des endroits incroyables, des hymnes à la nature. Voir ces acacias parasol à perte de vue avec ces fameux nuages, c’est fabuleux, envoutant »… Avec le Rwanda, le Kenya est pour lui le plus beau pays d’Afrique.
Arijiju - Laikipia - Kenya - Crookes And Jackson/Arijiju
Bruno Meyerfeld est aussi convaincu par le pouvoir d’envoûtement du pays. Il évoque notamment de très beaux hôtels dans la chaîne de montagne des Aberdare : « ils sont installés devant des points d’eau et la nuit, les animaux viennent boire sous vos fenêtres, il y a un système de réveil avec une sonnette qui vous réveille avec un coup si c’est une hyène, deux coups si un éléphant, trois coups pour un lion »…
Nairobi, underground et radicale
Bruno Meyerfeld qualifie Nairobi de ville très compliquée d’ « un cas un peu extrême avec peu d’espaces publics, de trottoirs, de jardins, et d’un climat d’insécurité et de paranoïa ». Mais il y a aussi du positif : « le fait que ce soit une ville compliquée la transforme aussi en ville underground et radicale. On assiste à Nairobi à des manifestations artistiques exceptionnelles, comparables à Lagos ou Johannesburg ». Il évoque aussi son côté inattendu comme des bidonvilles où on trouve des créateurs, des restaurants et où on se sent en sécurité.
Sven Torfinn/PANOS-REA
Baptiste Briand précise qu’il faut être accompagné pour que l’on vous pointe les bons endroits : « c’est ce qui nous intéresse aussi pour le magazine : aller où les gens ne vont pas, rencontrer des artistes, trouver des endroits qui sont comparables à Brooklyn, avec des cafés branchés ».
Le problème de la sécurité
Bien qu’il reconnaisse un climat d’insécurité à Nairobi, Bruno Meyerfeld avoue ne s’être jamais senti en insécurité au Kenya. Il constate même que pour les touristes, les Kenyans sont particulièrement protecteurs. Baptiste Briand confirme en revenant sur l’île de Lamu, « où on ne ressent aucune insécurité, c’est une vie en communauté où les gens sont attentifs les uns aux autres ». Il faut aussi faire attention à l’appellation Lamu. « Dans la ville de Lamu et sur l’île de Lamu, il n’y a aucun problème de sécurité mais dans le comté de Lamu, qui borde la Somalie, il y a en effet des points de tension compliqués », précise Bruno Meyefeld.
Le Rift, berceau de l’humanité
Valérie Expert revient sur le livre du journaliste et l’interroge sur ce qu’est le Rift. « Le berceau de l’humanité ! », s’exclame Michel-Yves Labbé. Bruno Meyerfeld le décrit comme « une faille géologique africaine qui traverse le Kenya du nord au sud, à la fois une route pour les peuples, un lieu de rencontre, mais aussi une zone de conflits et d’affrontements entre les communautés. Toute l’histoire du Kenya passe par là ». Il considère également l’endroit comme magique. « C’est aussi de là que vient le mot Kenya », ajoute Michel-Yves Labbé. « Kenya vient du sommet Kirinyaga - nom de la montagne traditionnelle du Mont Kenya - qui veut dire sommet de l’autruche, tout simplement parce qu’elle a la tête blanche pour la neige et le corps noir pour les roches », explique Bruno Meyerfeld,
Le top 5 des invités de Valérie Expert
Michel-Yves Labbé met en tête de son palmarès le lac Nakuru et ses flamants roses. Il raconte aussi avoir eu la chance de faire les repérages de l’East African Safari Rally avec un pilote finlandais il y a 30-35 ans. « On était dans la vallée du Rift. C’était extraordinaire. A chaque fois qu’on s’arrêtait, il y avait tout le village autour de nous. J’ai gardé des souvenirs magnifiques. Il avoue cependant qu’il ne retournerait pas au Kenya pour voir des animaux. « Ceci-dit, reprend-il, on peut faire des safaris courts, à partir de la côte dans le parc de Tsavo où on trouve les big five - lion, rhinocéros, buffle, léopard et éléphant - , ou bien depuis Nairobi vers Amboseli, où on se retrouve face au Kilimandjaro. On peut aussi prendre un petit avion de Nairobi comme dans Out of Africa pour aller à Maasai Mara ». Il ajoute qu’il trouve dommage qu’on laisse le pays aux Allemands et aux Anglais en ce moment. « Il faut que les Français refassent la conquête du Kenya, c’est un excellent rapport qualité-prix, avec des hébergements de bonne qualité, surtout dans le haut de gamme » !
Marcus Hoehn/LAIF-REA
Bruno Meyerfeld recommande de ne pas se surcharger en parcs mais plutôt d’en combiner un dans le nord-est comme celui de Samburu peu fréquenté avec l’île de Lamu ou Mombasa dont il apprécie tout particulièrement la vieille ville.
Baptiste Briand enchaîne sur les maisons de brousse, anciennes ou modernes que l’on trouve dans les parcs de Laikipia et de Borana. « Elles peuvent être d’une grande richesse architecturale et historique. On en a visité une en face du Mont Kenya, moderne, au toit plat, enfouie dans la savane. On y entre par un cloître inspiré d’une abbaye varoise. On est tout d’un coup dans un jardin provençal avec la vue sur le Mont » !
Pour Jean-François Rial, le Samburu arrive au sommet de sa liste, puis vient le lac Turkana, « c’est loin mais sublissime », puis Lamu et Nairobi avec un fixeur « qui lui montrerait tout »…
La carte postale de Michel-Yves Labbé : le Mount Kenya Safari Club
Pour sa carte postale, Michel-Yves Labbé emmène les auditeurs sur les pentes du Mont Kenya à la découverte du Mount Kenya Safari Club, un hôtel de luxe, géré par Fairmont et où l’on trouve les meilleurs lits du Kenya ! Les chambres de cet hôtel colonial ont gardé leur charme British des années 50, avec une vraie cheminée, « un feu qu’on vous allume avant de vous coucher, des bouillottes sous les draps ». Quant au bar, Michel-Yves Labbé raconte qu’il a vu passer toute la jet set assoiffée, « de Hemingway à Ava Gardner et de Steve McQueen à Winston Churchill ». Au Mount Kenya Safari Club, on dîne en veste sur les pelouses manucurées face au Mont Kenya, on joue au golf sur un terrain privé, on pêche dans les torrents voisins, on se baigne dans la piscine et on traverse fréquemment l’Equateur qui passe dans le jardin.
Cet hôtel de luxe a aussi une histoire fascinante. Dans les années 30, une riche Américaine cinquantenaire s’ennuie à New York. Elle part au Kenya, affrète un petit avion pour observer les plaines de Maasai Mara. Elle tombe instantanément amoureuse du pilote, un trentenaire français, Gabriel Prudhomme. Elle divorce de son mari américain, épouse le pilote à Paris et tous deux retournent s’installer au Kenya. Ils achètent un domaine sur les pentes du Mont Kenya, font construite une grande demeure, aujourd’hui bâtiment principal de l’hôtel. Puis vient la guerre, elle retourne aux Etats-Unis, il combat pour les Forces Françaises Libres. Ils se retrouvent mais le charme n’y est plus. Ils se séparent tout en restant amis. Il meurt avant elle. Elle lui avait donné le domaine kenyan, qui tombe dans l’escarcelle de la famille française, laquelle n’en fait rien. Il est racheté par un homme d’affaires local qui en fait un hôtel. En 1959, trois amis dont l’acteur William Holden tombent amoureux de l’endroit et décident d’en faire le club le plus privé du monde. Ils le baptisent le Mount Kenya Safari Club. Un de ses membres n’est autre qu’Adnan Khashoggi, l’un des hommes les plus riches du monde de l’époque, « l’intermédiaire entre la monarchie saoudienne et les usines d’armement, entre les rois du pétrole et les gouvernements occidentaux, et aussi un grand consommateurs de jeunes femmes », explique Michel-Yves Labbé. Il rachète le Mount Kenya Safari Club en 1977 et en fait un hôtel somptueux.
Fairmont Mount Kenya Safari Club
C’est alors que l’histoire devient le bureau des légendes : la CIA et Kissinger y organisent une sorte de club des têtes pensantes, des services secrets qui se réunissent tranquilles à l’écart des journalistes. « On y trouve du beau monde qui s’entend pour semer le trouble aux Soviétiques en Afrique et au Moyen-Orient, du beau monde qui prend naturellement le nom de « safari club ». L’hôtel voit se fomenter toutes les opérations de la CIA pendant la Guerre Froide », raconte Michel-Yves Labbé. Mais à force de négocier des deals à la limite de légalité, Adnan Kashoggi fait face à quelques soucis à la fin des années 80. Ses affaires régressent, sa fortune fond, il se retire à Monaco puis décède à Londres en 2017. Il était aussi l’oncle de Dodi Al-Fayed, mort avec la Princesse Diana en 1997, et de Jamal Khashoggi, mort au Consulat saoudien d’Istanbul en octobre 2018… « Bref, toute une histoire que celle du Mount Kenya Safari Club » conclut Michel-Yves Labbé qui conseille bien sûr de dormir dans la plus belle chambre de l’hôtel, celle d’Adnan Khashoggi !
Valérie Expert finit l’émission en conseillant la lecture du livre de Barack Obama, Les Rêves de mon Père, Out of Africa de Karen Blixen, La Piste Fauve de Joseph Kessel et bien sûr, Les Séismes du Rift de Bruno Meyerfeld.
Photographie de couverture
PAULINE CHARDIN