Polynésie

A la découverte du mana polynésien

A la découverte du mana polynésien

Société, Tuamotu, Marquises ; Tahiti, Moorea, Bora Bora : à eux-seuls, ces noms sont un voyage. La Polynésie, ce sont 5 archipels et 118 Îles et atoll confettis posés entre ciel et mer au milieu du plus vaste océan de la planète. La promesse de lagons turquoise ou céladon, de motu de sable blanc, de récifs coraliens, loin du monde. Mais au-delà des eaux limpides et de la sarabande de cocotiers, les îles vibrent du mana, une énergie spirituelle vitale au cœur de la culture polynésienne.

 

Le mana, une force magique, religieuse et spirituelle

C'est une puissance qui investit les corps et les esprits, force créatrice de toute chose, transmise par les dieux et les ancêtres. Le mana est une énergie d’origine spirituelle qui réside dans les êtres vivants, mais également dans les objets inanimés lorsqu’ils inspirent le prestige et la vénération. Êtres et objets qui ont le mana se voient accorder le respect, le mana leur confère autorité et pouvoir. Le mana tangata est le pouvoir des êtres, le mana whenua est l’autorité d’un groupe sur la terre qu’il occupe, le mana atua est le pouvoir du lien avec les puissances spirituelles. Entre magie et sacré, le mana est au fondement de la spiritualité polynésienne. Dans la société traditionnelle, rois, prêtres et guérisseurs y puisaient leur pouvoir.

Le mana a été relayé au rang de superstition lors de la christianisation. Considérés comme rites païens, les danses traditionnelles, tatouages et autres cérémonies empreintes du mana sont interdits par les premiers missionnaires, protestants anglais de la London Missionary Society, à leur arrivée en Polynésie à la fin du XVIIIe siècle.

 

Il a suscité la fascination des premiers anthropologues et notamment celle d’un des plus célèbres d’entre eux, Marcel Mauss, père de l’ethnologie française, qui l’a érigé en modèle dans son ouvrage Esquisse d'une théorie générale de la magie (1904). Aujourd’hui, le mana dépasse largement le contexte océanien, devenu concept clé de l’anthropologie. Il a même conquis le monde des jeux de rôle et jeux de plateaux – le terme de mana désignant le pouvoir magique d’un personnage.

 

En Polynésie, le mana ressurgit avec vigueur à la fin des années 1980, accompagnant un mouvement de réveil identitaire et de critique de la colonisation. Aujourd'hui, il régit de nouveau la vie des Polynésiens. Le mana réinvestit les corps. Les danses, longtemps cantonnées à la sphère privée, retrouvent leur rayonnement. Les tatouages, qui sont, à l’instar des parures, des expressions du mana, symboles extérieurs d’une force intérieure, reviennent sur les peaux. Le mana conserve sa part de mystère mais, en Polynésie, il continue à guider les hommes. 

 

Raiatea, « l’île sacrée »

On connaît Raiatea pour ses lagons, ses motu de sable blanc, ses récifs de corail. L’île est aussi l’épicentre du triangle polynésien – avec Hawaï au nord, la Nouvelle-Zélande à l’ouest et l’île de Pâques à l’est. Un triangle aux dimensions folles, dessiné sur l’immensité des mers par les brillants navigateurs maoris, capables de parcourir de longues distances sur l’océan à bord de pirogues à balancier – jusqu’à huit mille kilomètres sans toucher terre, avec les étoiles comme seules guides. C’est ainsi que des équipages partis de Raiatea découvrirent et baptisèrent Hawaï.

Raiatea est le premier foyer de peuplement de l’archipel et l’île originelle de la culture maorie. Berceau du mana, Raiatea occupe une place très particulière dans la cosmogonie des peuples d’Océanie. Il règne ainsi sur Raiatea un parfum originel, incarné par le marae de Taputapuatea. À l’extrémité sud-est de l’île, dans le village d’Opoa, entre terre et mer, Taputapuatea a été pendant des siècles au cœur du culte des Maoris. Face à la mer, toujours là et toujours puissant, le marae témoigne des cultes d'antan en même temps qu’il est le lieu d’expression d’une culture vivante.

Un marae est un temple aux fonctions à la fois sociales et cultuelles, trait d’union entre le monde des vivants et celui des ancêtres, et lieu de transmission du mana.

 

Selon la tradition, celui de Taputapuatea constitue la première empreinte du Dieu créateur Taha ora. Le mythe raconte qu’il est descendu sur terre après avoir brisé sa coquille et créé les îles, ce qui lui confère un statut particulier. Au centre d’une alliance politique qui domine le triangle polynésien, Taputapuatea est le berceau ancestral de la civilisation maorie et le plus important marae de Polynésie. Avant la colonisation, les cérémonies religieuses et réunions politiques qui y prenaient place réunissaient l’ensemble des îles polynésiennes, et les décisions importantes y étaient prises avec toutes les chefferies de ces îles. Les anciens Polynésiens utilisaient une pierre de Taputapuatea comme première pierre à l’édifice d’autres marae dans les îles du Pacifique, pour obtenir un peu de son mana. L’ensemble du site, vaste esplanade de pierres volcaniques et de dalles de corail, face au lagon, est classé patrimoine de l’Unesco depuis 2017. En son centre, un monolithe de pierre impose sa verticalité et sa tonalité blanche, au milieu des pavages de pierre noire, trône qui permit l’intronisation des premiers chefs investis du mana des dieux.

 

Taputapuatea demeure le cœur vibrant de la spiritualité maorie et un voyage sur Raiatea serait incomplet sans une halte sur son parvis de basalte. Mais en Polynésie, l’environnement naturel, parmi les plus spectaculaires de la planète, la nature vibrante, l’atmosphère puissante, loin, très loin du tumulte du monde, invitent le voyageur à ressentir le mana sur chacune des îles : le mana s’impose au voyageur qui y est préparé.

 

Par

MARION OSMONT