Le train de nuit accélère son grand retour en Europe. Compagnies privées et nouvelles lignes se multiplient en réponse à l’envie croissante d’adopter une mobilité plus vertueuse (néanmoins confortable) et à celle, évidente, de renouer avec le véritable voyage.
20h12, vous prenez place à bord du Paris-Rome et de votre couchette privative. Bulle cosy, douche et vraie literie que vous rejoindrez après un dîner au wagon-restaurant. Sauf si ce soir, vous préférez le room service, comme vous le feriez à l’hôtel, avant de vous installer devant le dernier Wes Anderson – grand amateur de trains lui aussi (cf. À bord du Darjeeling Limited, son film sorti en 2007). La nuit fut douce – bien que vous ayez veillé pour attendre la traversée des Alpes au clair de lune. Les paysages défilent jusqu’au terminus. Bienvenue à bord du train de nuit version 2024.
Hier encore, l’aventure ferroviaire nocturne se résumait à deux extrêmes : d’un côté, un fantasme nommé Venice Simplon – Orient-Express, digne héritier de la première ligne mythique à avoir parcouru l’Europe dès la fin du XIXe siècle, et véritable palace sur rails. De l’autre, une couchette-sandwich partagée avec quelques ronfleurs à bord d’une voiture Corail cahotante, reliant le Pays basque après une dizaine d’escales. Entre les deux, le grand vide. Une pandémie plus tard, l’urgence climatique et la montée du flygskam (la honte de prendre l’avion) font bouger les lignes. Relégué aux voies de garage depuis la “lowcostisation” du transport aérien, le voyage en train de nuit prend sa revanche.
© Maxime d'Angeac & Martin Darzacq for Orient Express, Accor
Le train, en général, pouvant se vanter d’être le mode de transport collectif le moins polluant, reprend ainsi sa place sur la carte des transports intra-européens. Derrière le vœu d’un déplacement plus vert(ueux) que par les airs, les acteurs de cette nouvelle révolution du rail – inspirés par celle de la Compagnie internationale des wagons-lits dans les années 1920 – entendent “réenchanter le voyage en train de nuit”. Et d’ajouter au romantisme du slow travel les atouts du confort moderne : couchettes individuelles, literie confortable, connexion wifi, i tutti quanti.
En 2023, première à ouvrir la voie à ces trains de nuit reliftés, l’entreprise nationale autrichienne OBB affichait une trentaine de liaisons européennes à bord de ses Nightjet, dont Munich-La Spezia (Cinque Terre) et Vienne-Paris. Et la société belgo-néérlandaise European Sleepers lançait son premier train-couchettes, Berlin-Bruxelles via Amsterdam, avec en point de mire Prague en fin d’année, et Barcelone courant 2025.
En France, malgré de récentes mesures gouvernementales interdisant les vols intérieurs courts (seules trois liaisons concernées pour l’instant, très loin des ambitions de la Convention citoyenne pour le climat) et une poignée de lignes nocturnes hexagonales remises en service, l’option de voyager par le rail vers l’Europe et de nuit restait quasi nulle. La start-up Midnight Trains compte bien changer la maldonne des sleepings et raccrocher ses wagons design au train qui est en marche : une première ligne Paris-Venise, annoncée pour la fin 2024, doit servir d’étalon à une dizaine de liaisons au départ de la capitale.
Et pour rêver encore plus grand, le choix des palaces roulant s’élargit lui aussi : voyager la nuit dans l’Orient-Express – La Dolce Vita, dernière capsule de luxe inspirée des sixties italiennes, et le jour à bord du British Pullman, traversant la campagne du Kent, dans la voiture Cignus imaginée par Wes Anderson lui-même. Quand la réalité rattrape la fiction…
Par
Baptiste Briand
Photographie de couverture : @Alixe Lay