Bhoutan, Ladakh, Mustang, Tibet. Pour tutoyer l'âme du monde, pas mieux que ces quatre destinations perchées à plus de 3 000 mètres d’altitude. Mais laquelle choisir ? Le doux Bhoutan, le Ladakh confidentiel, le mystérieux Mustang ou bien le Tibet spirituel ? En guise de réponse, Voyageurs du Monde dresse un époustouflant panorama de l'Himalaya. Entre splendeur et vertige, ascension guidée.
Bhoutan, en pente douce
C'est la plus douce de ces contrées des cimes. Douceur des lieux, le seul endroit de l'Himalaya bouddhiste où des forêts peuplent les montagnes. Des arbres immenses, aux troncs couverts de mousse et de lichen, au creux desquels, ça et là, les fidèles bouddhistes déposent leurs offrandes, champs de mini-stupas en céramique, une touche supplémentaire d'enchantement à la beauté des lieux. Au-delà, le blanc étincelant des hauts sommets est là, dessine ses lignes découpées sur le fond bleu du ciel, mais cette fraction de pays plus rond, plus vert, installe une belle sérénité. Les grandes maisons villageoises adoucissent leur architecture cubique de bois minutieusement sculpté, et des peintures multicolores, animaux réels ou mythiques, oiseaux, tigres, dragons, motifs bouddhistes ou païens, ornent les pans de murs. Douceur des gens.
Peut-être grâce au choix politique de limiter les visites des voyageurs étrangers, ce qui préserve le calme des lieux, la qualité de l'accueil. Partout, les sourires vrais sont présents, la sérénité est palpable. Douceur des gestes du quotidien. Le mouvement hypnotique des fils qui passent et repassent sur le métier à tisser, faisant naître peu à peu des étoffes délicates. Le rythme posé des paysans dans les campagnes, à pied derrière leur charrue, ou repiquant à la main le riz dans les rizières. La chorégraphie exquise, comme un film au ralenti, des moines danseurs qui défilent dans leurs costumes chatoyants, sous le son grave des grands cors. Et le mouvement fluide et léger des drapeaux de prière longilignes, qui bougent sous le vent, jouent avec le soleil, plantés sur les flancs des montagnes tels des bouquets d'arbres aériens. On se met au diapason, on sourit, on respire, on voudrait garder ce rythme à jamais.
Un lieu
Le dzong de Punakha, à l'écart du village, auquel on accède par un joli pont couvert. Les dzongs, places fortifiées faisant office de palais, de bâtiments administratifs et de centres religieux, sont typiquement bhoutanais.
Une tradition
Les archers bhoutanais, vêtus du go, le vêtement traditionnel porté dans le pays, qui s'entraînent quotidiennement.
Un incontournable
L'emblématique monastère Tiger's Nest (ou Taktshang), qui domine la vallée de 700 mètres, suspendu en haut de son rocher.
Ladakh, des hommes & des dieux
Le top est d'y arriver par les terres. Emprunter la route carrossable la plus haute du monde, la mythique Transhimalayenne qui relie Manali à Leh, passer par le col de Tanglang La, à 5328 mètres, goûter le vent qui pique la peau. Entrer ainsi au Ladakh comme les nomades qui le peuplent (on peut croiser, dans les montagnes, les tentes des éleveurs de yaks et de chèvres pashmina), se plonger pendant des kilomètres dans l'univers minéral, marron glacé et gris anthracite, du grand désert ladakhi. Et lorsque surgit la vallée de l'Indus, une longue échappée soudainement verte, incongrue à 3 500 mètres, on est tout étonné de voir des villages réapparaître. Shey, Thiksey, Phyang, Hemis, les fascinants monastères bouddhistes s'égrènent le long du fleuve, témoignent de la culture lamaïste ancrée depuis des siècles dans la région.
Mais le Ladakh, c'est l'Inde aussi, où tout se mélange et s'entrecroise. Le long des routes menacées par les coulées de boue et le gel, inlassablement reconstruites par des travailleurs de l'État du Bihar (au nord-est du pays), les moines des temples hindouistes apportent réconfort aux ouvriers. À Leh, la mosquée Jama Masjid, en cours de reconstruction, accueille des centaines de fidèles depuis le XVIIe siècle, chaque vendredi. Et aux confins du Cachemire, dans la vallée de Dha-Hanu, entre grands bouddhas et minarets, les femmes troquent leurs bijoux en turquoise contre des parures éphémères en fleurs fraîches et pompons de laine.
Un lieu
Le monastère Lamayuru, perché sur sa falaise.
Un événement
Aujourd'hui à Alchi, pour la venue d'un bhikkhu, un moine bouddhiste, tout le village porte les parures de fêtes. Les paysannes deviennent princesses. Effervescence et recueillement. Enchanteur.
Un incontournable
La vallée de la Nubra. Une mer de sable au cœur du désert ladakhi, peuplée de chameaux sauvages aux longs poils, probables descendants de caravanes bloquées par le froid il y a plusieurs siècles.
Mustang, à l'abri du monde
Jomson, Népal. Le village est entouré de sommets blancs, les derniers temples hindouistes sont accrochés à la montagne, on est aux portes du Haut-Mustang. La rivière Kali Gandaki nous montre le chemin, s’enfonce dans les roches. On la suit, on chemine avec elle dans ces paysages qui semblent sortis de la planète Mars, aux couleurs vives improbables, ocre, orange, feu, irrémédiablement secs, sculptés par les actions contraires de la poussée de la terre et de l’érosion. Visiter le Mustang, c'est entrer dans un pays de légendes : comme dans un conte, le décor est invariablement grandiose, mais tout y est à échelle humaine. Le plus intime des pays des cimes peut se parcourir à pied, en tout et pour tout une trentaine de villages, où chaque maison est un palais de terre, labyrinthique – la nuit, les lampes à acétylène dessinent des ombres mouvantes, tour à tour féeriques ou inquiétantes. Pendant des siècles, le Royaume de Lo, fondé au XVe siècle et intégré au Népal sous le nom de Mustang en 1951, a vécu à l’abri des remous du monde, protégé par ses hautes montagnes. Interdit aux étrangers jusqu'au début des années 1990, d'où son surnom de “Royaume interdit”, le Mustang n'accueille qu'un petit nombre de voyageurs.
Chaque année, ils sont à peine quelques centaines à décrocher leur visa pour aller marcher à travers des paysages époustouflants, jusqu’à Lo Mantang, la capitale aux mille habitants. Plusieurs jours de randonnée, deux cols à plus de 4 000 mètres, c'était la seule façon d’accéder à la beauté du Mustang avant la construction d'une route, en 2016, qui a désenclavé la région. Jusque-là, la “ville” n’avait jamais vu un véhicule et exception faite de quelques rares bouteilles Thermos et autres colifichets colorés, estampillés “made in China”, en provenance du Tibet voisin, les hommes de Lo continuaient à vivre comme si de rien n’était. Alors faites vite ! C’est le moment de s'y rendre : durant ce laps de temps magique, où voyager devient plus simple et où la magie des lieux est encore préservée.
Un monument
La cité fortifiée de Lo Mantang, unique en son genre dans le monde tibétain.
Un homme
Le dernier roi du Mustang, qui recevait dans son palais moyenâgeux, 108 pièces, sans électricité, chauffées à la bouse de yak, s'est éteint fin 2016. Son fils peut accepter une audience.
Un paysage
Les gorges de la Kali Gandaki, un défi lé graphique, étroit, doré, profond et lumineux, où le soleil joue à cache-cache.
Plus près du ciel au Tibet
On marche sur le toit du monde : à 4 500 mètres au-dessus de la mer, le plateau de Qinghai est le plus haut de la planète. La proximité du ciel, l'immensité des paysages prend aux tripes. Des dunes de sable doré ou gris, des roches plates, des montagnes caramel, couvertes du tapis vert de la steppe ou chapeautées de blanc, soulignent l'horizon.
Commençons par le Mont Kailash ou Gang Rinpoché, “précieux joyau des neiges” en tibétain, pyramide presque parfaite, glace pure sur roche grise. Du haut de ses 6 700 mètres, il domine le bleu profond du lac Manasarovar. C'est le centre de l'univers. Pour les bouddhistes tibétains, qui y voient la demeure de Demchog et de Dorje Phagmo, symbolisant l'union des forces mâles et femelles. De nombreux pèlerins en font le tour, soit 80 kilomètres en tout, pour se purifier et s'assurer un karma favorable pour le restant de leur vie. “Jérusalem de l'Asie”, l'endroit est également sacré pour les adeptes des religions jaïn, fondée notamment sur le principe de la non-violence, et bön (prononcer “beun”), qui existait au Tibet avant le bouddhisme. Les hindouistes, eux, pensent que le dieu Shiva réside à son sommet, accompagné de Parvati, “fille de la montagne”, sa bien-aimée.
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À 1 400 kilomètres de là, à Lhassa, la “terre des dieux”, les fidèles tibétains affluent vers les lieux les plus vénérés du Tibet, le palais-forteresse du Potala et le temple de Jokhang, voisin. Seuls, en famille ou en groupe, ils se hâtent avec lenteur, respectant les usages : avancer d'un pas, lever les mains au ciel, se prosterner, s'étendre de tout son long face contre terre, se relever et recommencer, parfois des mois durant pour ceux venus de loin. On chemine à leur côté de temple en temple, où ils s'adonnent à leurs rituels, et on redécouvre le temps. La Chine a envahi le Tibet et détruit les monastères par milliers. Depuis Lhassa est une ville chinoise. Mais le cœur des cultures de l'Himalaya est bien resté vivant, ici.
Un lieu
Le lac Namtso, l'un des trois lacs sacrés du Tibet, considéré comme le plus haut du monde, sublime. Pour goûter pleinement la magie des lieux, il est préférable d'y passer une nuit.
Un moment
Partager un thé salé au beurre de yack rance avec une famille de nomades. Repartir l'estomac un peu malmené mais le cœur heureux.
Un paysage
Le jeu mouvant du soleil sur les neiges de la face nord du mont Everest, depuis le camp de base au pied du glacier du Rongbuk.
Texte & photographies
VÉRONIQUE DURRUTY