Elles sont créatrice, avocate, surfeuse ou chanteuse folk, toutes engagées et attachées à leurs convictions. Guidées par des figures féminines fortes et fières de leur culture, ces jeunes Polynésiennes ont choisi de s’affranchir des clichés. Elles racontent.
Elle a le pragmatisme vissé au corps. Avec elle, une idée devient un projet. Par exemple, pour trouver un job, elle crée sa société. “J’ai eu beaucoup de chance et des opportunités.” Qu’elle a su saisir. À force de travail, la Tahitienne Cattleya Maléjac a lancé Poétique, une marque engagée de prêt-à-porter en cuir végétal. Avec Pauline Weinmann, son associée, elle partage une obsession : traquer le CO2 et se départir de la matière animale – même pour le perfecto de la collection. Trouver des alternatives pour rester au plus près de ses convictions : la seule voie que Cattleya s’autorise. Pour elle, la différence se joue entre celui qui ose et les autres. La jeune femme s’est forgé son audace en Polynésie, avant de gagner Paris. Enfant déjà, celle qui porte un nom d’orchidée parce que “maman, comme toutes les Polynésiennes, aiment les fleurs”, avait cette volonté de tenir les rênes. Elle s’inspire de sa mère “libre et créative”, qui vit à Tahiti. À chaque retour, Cattleya file la rejoindre sur les hauteurs de Punaauia, la ville des cueilleurs d’oranges. De la montagne, “on a une vue magnifique sur Moorea. Et les émotions me reviennent subitement, comme si je n’étais jamais partie”.
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“Muses de mon destin”
Aller voir de l’autre côté de l’horizon, c’est aussi le choix fait par Timeri Law. Coïncidence ou destin, elle fait honneur à son nom et à sa culture : elle est la seule avocate polynésienne du Barreau de Paris. Timeri s’est spécialisée en droit des affaires. “J’avais besoin de me sentir utile.” La Polynésienne porte un flambeau. Celui des femmes qui l’ont poussée à s’affirmer : sa mère Maeva, sa tante Diana, dont le décès tragique lui a montré un nouveau chemin, et sa grand-mère, Alice, “une femme d’un immense courage”. “Elles m’ont permis d’aller au bout en se dévouant aux autres”. Leurs forces l’accompagnent jusque dans le prétoire. L’avocate a fait broder sur un revers de sa robe “À Alice et Diana, muses de mon destin”. Comme une façon de porter aussi la Polynésie, explique Timeri qui revient à la maison dès qu’elle le peut, “faire une cure de ma’a tinito”, la cuisine chinoise de Tahiti, sourit-elle. Après le mahi mahi au lait de coco, le chao men (pâtes fines sautées aux crevettes, poulet et légumes) est l’autre plat populaire du pays.
« Les femmes de ma famille m’ont toujours inspirée. Ma grand-mère m’a appris la discipline, le plus sûr chemin vers la liberté. » - Vaiteani, chanteuse
Pour Vahiné Fierro, ça sera poisson cru, patate douce, taro, et beaucoup de yoga. Ou la combinaison idéale pour atteindre le cœur de la vague, avec fluidité, puissance et style, décrivent les commentateurs. La championne du monde junior de surf puise ses ressources à Huahine, l’île où elle a grandi. Le surf est une tradition familiale chez les Fierro, dont le père s’est mesuré naguère aux meilleurs, comme Kelly Slater. Pourtant, le clan vit depuis toujours dans la montagne. C’est une chance pour Vahiné qui aime aussi s’éprouver en randonnées : Huahine a tout pour plaire, selon la championne. Pour celle qui parle l’anglais, l’espagnol, le français et le tahitien, “les plus belles plages de la planète” se trouvent sur son île.
Roxy
Quant à Vaiteani, elle a choisi pour se ressourcer PK18, la longue plage de sable blanc située entre Punaauia et Paea, à Tahiti. Comme un bain de jouvence, la chanteuse vient y nager entre deux tournées, dans les palmes de son père, originaire de Taha’a, qui y faisait autrefois ses longueurs. Auteure, compositeure, Vaiteani, dont le prénom signifie “Source du ciel”, forme avec Luc un duo inédit de folk polynésien. S’inspirant de leurs origines et de leurs voyages dans le Pacifique, en métropole ou en Afrique, ils parlent d’amour, mais aussi de résistance en langues tahitienne, française ou anglaise. C’est elle qui écrit les textes. “Les femmes de ma famille m’ont toujours inspirée. Ma grand-mère m’a appris la discipline, le plus sûr chemin vers la liberté. Ma mère était très active, généreuse, elle m’a aussi montré la voie.”
Dans la peau d’un modèle de Gauguin
Pour aborder la féminité, Vaiteani s’est appuyée sur Paul Gauguin. À contre-pied. Des reproductions affichées il y a quelques années dans sa chambre d’étudiante, elle dit : “Là où j’avais aimé ses couleurs, je ne voyais plus que le vide dans les yeux de ces femmes. C’est un avis très personnel, je crois qu’il n’est pas parvenu à capter leur essence…” Dans sa chanson A Peni mai (“Peins-moi”), Vaiteani affinement choisi de se glisser dans la peau d’un modèle du peintre. Qui d’autre qu’elle pour oser s’emparer du sujet… et redonner voix à la femme, aux femmes, polynésiennes.
Par
BAPTISTE BRIAND
Photographie de couverture
ROXY