Maroc

Maroc, le royaume de tous les possibles

Maroc, le royaume de tous les possibles

Flâner dans les souks, se bercer de contes, s’adonner à l’art du tajine et à celui de la poterie, sentir l’effervescence de Marrakech, le souffle chaud du désert, avoir l’impression qu’on pourrait toucher les étoiles… Cette terre d’ocre et de sable, de Fès au Sahara, est la promesse de moments indélébiles à partager entre petits et grands.

 

Fès : une plongée dans l’histoire et les traditions

C’est en les voyant courir pour s’engouffrer sous la porte Bab Boujloud que nous prenons conscience que, ça y est, nous l’avons fait : nous avons emmené les enfants au Maroc. D’un grand-père marocain, il ne me reste que de vagues réminiscences. Impossible de savoir si les images du pays qui emplissent mon esprit m’ont été contées par lui ou abondamment relayées par d’autres. Aujourd’hui, nous sommes ici pour forger des souvenirs qui n’appartiennent qu’à nous.

Blottie entre les pentes du Moyen Atlas et les plaines du Saïs, Fès fut, en son temps, la reine des cités marchandes, et il n’y a guère meilleur endroit pour humer cet héritage que la médina. Les allées étroites esquissent pour les bambins un terrain de jeu irrésistible que vient agrémenter le passage de quelques mules. Nous freinons quelque peu les ardeurs car, si l’ambiance est résolument bienveillante et n’autorise aucune inquiétude, les ruelles demeurent labyrinthiques et chargées.

À chaque recoin sa spécialité : le souk Attarine aligne pyramides d’épices et herbes médicinales, celui de Kissaria exhibe tissus et broderies. De part et d’autre des échoppes sont suspendues les marchandises qui servent de vitrine. Les petits voudraient craquer pour tout et les vendeurs, un élan malicieux dans le regard, l’ont bien compris.

Soudain, surgi de nulle part, un homme affable, la peau brune, offre de nous mener dans les coulisses de la tannerie Chouara. Quelques instants plus tard, nous voilà juchés sur les rebords d’immenses cuves en pierre qui s’étendent à perte de vue. Les enfants feignent de s’y pousser, ce qui nous distrait quelque peu de la puissante odeur qui se dégage des vasques. Autour, les peaux de chèvres, bœufs et chameaux sèchent au soleil. Demain, ces articles de cuir seront vendus dans les boutiques adjacentes.

Parce que la ferveur ambiante nourrit, mais qu’elle consume aussi, nous nous autorisons une pause dans un café local, à l’ombre des mûriers. Les petits pieds douloureux sont vite oubliés face au spectacle du service du thé à la menthe – on retient son souffle au fur et à mesure que la théière prend de la hauteur –, chaleureusement applaudi.

L’après-midi, c’est au tour de “Fred”, conteur spécialisé dans les répertoires traditionnels et joueur de guenbri, d’ensorceler la fratrie. Nous ne sommes pas fâchés que tout ce beau monde se relaie pour les divertir – nous serions presque tentés de nous éclipser au hammam pour nous faire enduire de rhassoul et de savon noir. Problème : nous sommes, nous aussi, suspendus aux lèvres du narrateur. Ce sont des têtes pleines de belles histoires qui pénètrent le riad en soirée. Un sortilège semble avoir été jeté sur la porte en bois de cèdre car, à peine passée, le monde extérieur – clameurs et odeurs entêtantes – disparaît complètement. Il n’y a plus que les carreaux de zellige, le murmure apaisant de la fontaine et l’hospitalité de nos hôtes marocains.

Le lendemain, nous entreprenons une étape cruciale du parcours initiatique vers nos (lointaines) origines : le cours de cuisine. L’aînée a un faible pour les zalabias, ces beignets enrobés de sirop au miel et à la fleur d’oranger, quand le petit dernier dit raffoler des cornes de gazelle – même si la rumeur familiale veut qu’il en aime surtout le nom.

Toutefois, avant de passer au sucré (même si la frontière est parfois mince au Maroc, et quel délice !), notre professeure du jour s’est mise en tête de nous enseigner l’art du tajine, ce populaire ragoût cuit à l’étouffée. Monsieur s’applique avec une ardeur qu’on ne lui connaissait pas et la leçon sombre peu à peu dans la compétition familiale.

Deux heures plus tard, nous sommes rouges d’effort et de fierté lorsque la grande inaugure notre plat en soulevant, manches retroussées, le couvercle conique. “On pourra en refaire à la maison ?”, glisse le cadet, la bouche pleine. À peine quelques pas dans la ruelle et nous devenons les fiers propriétaires d’un plat de terre cuite marchandé âprement par les enfants, qui font de bien meilleurs négociateurs que nous.

Birgit Sfat

 

Marrakech : créativité et découvertes

Au troisième jour, après avoir récupéré la voiture de location, nous filons plusieurs heures durant sur la route du sud jusqu’à atteindre les plaines arides. Objectif : Marrakech, à l’ombre des montagnes. Derrière ses murailles ocre et sa rangée de palmiers, la cité berbère abrite un dédale de passages, escaliers, galeries propices aux explorations et aux élans d’imagination. Au creux d’un fondouk, ces caravansérails où s’installent depuis des millénaires les marchands, un tourneur sur bois et un dinandier semblent plongés dans un concours d’ingéniosité. Cela donne à toute la tribu une envie folle de produire quelque chose de ses mains. Un coup de fil au concierge de l’agence et c’est organisé.

Devant le tour de potier, c’est l’émerveillement, le découragement, puis l’émerveillement à nouveau. À la leçon de calligraphie arabe, la grande tire la langue, signe que la concentration est à son comble. Cela fera un ravissant souvenir que l’on ramène pour l’heure à l’hôtel. Niché dans la médina, le riad de la Villa Nomade célèbre l’art de vivre marocain. Sans tambour ni trompette, mais avec la délicatesse de quelques pétales de rose flottant sur l’eau d’un bassin. L’atmosphère y est sereine, équilibrée, somptueuse.

Un autre jour se lève, synonyme de nouvelles aventures. Sans aller jusqu’à traîner les bambins au musée Yves Saint Laurent, nous ne manquerions pour rien au monde le jardin Majorelle, dont le bleu intense nous hantait bien avant l’arrivée. Bingo : la visite est un tel succès que les enfants veulent repeindre la maison dans les mêmes teintes au retour. Avant d’entreprendre un chantier d’une telle envergure, nous leur proposons, en guise de compromis, de choisir ensemble une pièce de décoration pour instiller un peu de Maroc chez nous.

Sans surprise, le petit dernier tombe en amour devant le plus grand tableau du magasin (3 x 2 mètres tout de même), tandis que nous tentons subtilement de le réorienter vers les coussins. Le reste de la journée s’écoule sur un rooftop, affalés sur les banquettes striées, à jongler entre parties endiablées de Uno et rédaction des cartes postales réglementaires aux grands-parents. En tournant la tête, nous apercevons la lumière jouer de ses teintes sur la ville et, en arrière-plan, les montagnes de l’Atlas – majestueuses, irrésistibles.

Avant de répondre à l’appel de ces éminences dorées, il y a encore une expérience marrakchie que la famille ne peut manquer : une virée nocturne sur la place Jemaa el-Fna. Le soir venu, l’esplanade grouille de monde. Comme dans une pièce de théâtre, les protagonistes défilent. Scène 1, les commerçants. Scène 2, les musiciens. Scène 3, les charmeurs de serpents. Tandis que le reptile ondule, difficile de savoir qui, de l’animal ou de notre benjamin, est le plus hypnotisé.

Les petits garderont un souvenir ému de cette soirée où ils ont été autorisés à veiller dans la douceur de l’Orient. Et il fallait bien ce dernier bain de foule pour se préparer à la suite. Mercredi, jeudi ? Nous avons perdu la notion des jours – c’est bon signe. En filant vers le sud-est, l’asphalte se fraie un chemin dans des décors bruns ponctués, çà et là, de figuiers de barbarie. Une silhouette drapée dans l’uniforme des bédouins du désert jaillit avant de s’évanouir. Était-ce un mirage ?

Lorsque Skoura surgit au détour d’un virage, nous croyons à une nouvelle apparition. À quarante kilomètres de Ouarzazate, la cité est un miracle sous forme de jardin. Palmiers-dattiers, oliviers, amandiers, grenadiers : un ingénieux système d’irrigation leur permet de survivre dans cet océan de sable. Du tapis de végétation s’échappent quelques constructions fortifiées en pisé, les kasbahs. C’est dans l’une de ces anciennes demeures de marchands que nous posons nos bagages. Les valises chargées de vêtements et de souvenirs ont remplacé les cargaisons d’or et d’épices.

Pour faciliter l’exploration de la cité et ses alentours, nous décidons d’adopter une monture. Le petit frère veut s’enfuir vers l’oasis de Sidi Flah sur un âne, quand la grande sœur, conquise par l’atmosphère ambiante, préférerait sillonner la palmeraie à dos de dromadaire. La drôle de tête de ce dernier, qui mâchonne l’air d’un air revêche, persuade le cadet d’abandonner son idée première pour se hisser sur le camélidé. Nous avons la bonne idée d’immortaliser le moment où l’animal, notre progéniture installée sur le dos, passe de la position couchée à celle debout, ballottant son cavalier au passage.

Birgit Sfat

 

Le Sahara : magie et humilité

Dernière étape, et non des moindres : le Sahara, de l’arabe Sahra al Kubra – le “Grand Désert”. “Grand comment ? – Comme les États-Unis. – C’est grand comment les États-Unis ?” Nous dégainons une carte pour tenter de leur donner un ordre d’idée. L’aînée la garde en main pour suivre notre progression vers le sud, entre pitons escarpés et gorges étroites. Passé le checkpoint de Foum-Zguid, le 4x4 quitte l’asphalte pour s’engager sur les pistes du désert. Les enfants sont copieusement secoués, mais principalement de rire, alors le chauffeur s’en donne à cœur joie. Dégradé d’ocre et de brun, étourdissant répertoire de formes : des décors magnétiques dépourvus d’artifices défilent à travers les fenêtres. Une heure plus tard, le véhicule ralentit aux abords d’une dune qui, aux yeux non avertis, ressemble à toutes les autres. Pourtant, des porteurs se matérialisent soudainement à nos côtés pour décharger la voiture. À l’arrière, ça détale sur le sable, tandis que nous nous ébrouons après ce trajet extravagant.

Nichée un peu plus loin au creux d’une butte de sable, notre tente présente des proportions et un confort tout à fait épatants. Face à l’immensité du désert, son tissu lourd semble veiller sur nous. Quant à la salle de bains attenante, nous avions beau avoir été prévenus de sa présence, elle soulève mille questions pratiques chez les plus jeunes.

Alors que la lumière commence secrètement à décliner, un membre du camp équipe chaque tente d’une lampe à gaz, comme un phare dans la nuit, avant de dessiner un chemin de lanternes jusqu’à l’emplacement du dîner. Nous prenons place sur des coussins à même le sol pour le plus grand bonheur des petits qui apprécient comme il se doit ce pique-nique improvisé. Soupe harira, couscous, grillades : les plats semblent inépuisables – un nouveau tour de magie du désert.

Après le repas, nous nous lovons sur le versant d’une dune pour admirer les étoiles. D’une voix feutrée, le benjamin formule tout haut ce que chacun pense tout bas : elles semblent plus proches ici qu’ailleurs. Le silence, assourdissant au premier abord, est progressivement devenu délicieux. Et lorsque nous effectuons les quelques pas dans le sable devenu froid qui nous séparent de la tente, nous savons que les traces laissées auront disparu au matin. Car le désert, c’est aussi cela : une leçon d’humilité de bout en bout.

 

Photographie de couverture : Birgit Sfat