“Je n’ai pas écrit la moitié de ce que j’ai vu car je savais qu’on ne me croirait pas”, déclara Marco Polo, marchand vénitien attaché auprès de la cour du grand Khan Kubilaï. Des siècles plus tard, les Mongols préservent toujours la culture, fière et généreuse, qui l’avait inspiré.
Le héros rouge
Un périple en Mongolie s’amorce et s’achève presque toujours à Oulan-Bator. Îlot de modernité bercé d’influences soviétiques, la capitale concentre la moitié de la population du pays, soit 1,5 million d’habitants. Ici, point de deel ni de ger (respectivement tenue et habitat traditionnels), ce qui ne veut pas dire que l’on n’y est pas introduit à la culture mongole. Le Musée national peint un tableau exhaustif de l’histoire de la nation, des empires des steppes à la période communiste (Ulaanbaatar signifiant d’ailleurs “le héros rouge”).
Dehors, un francophone tombé amoureux du Pays du Ciel Bleu vient à notre rencontre. Formé au chant diphonique et à la danse traditionnelle biyelgee, il pince les cordes de son morin khuur dans un état de quasi-transe au cours d’une démonstration passionnée. Le soir venu, place aux délicieux fumets d’un restaurant de fondue. Comme pour le reste de la gastronomie locale, des khuushuur (chaussons farcis) aux buuz (raviolis), la viande trouve une place de choix à table.
Luca Zordan
L’appel du désert
Il ne faut s’éloigner que de quelques kilomètres en dehors de la ville pour voir poindre les premiers gers sur l’immensité rase. Des habitants en deel s’en échappent, chapeau vissé sur la tête et ceinture de soie fermement calée sous le ventre. À travers la fenêtre du véhicule, ils disparaissent aussi vite qu’ils sont venus, comme convoqués par une vision chamanique. Le van file vers le sud ; direction le désert de Gobi.
Sur la route, les formations granitiques de Baga gazriin chuluu offrent un premier aperçu des prouesses naturelles de la région. Un coucher de soleil incandescent allume le ciel tandis que le van ralentit au premier campement. Pour l’heure, celui-ci se limite à une vaste étendue herbeuse. Les invités sont sollicités pour édifier de zéro le nid, un ger traditionnel, en commençant par la porte ! Les gestes sont hésitants mais, en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Gengis Khan, voilà la demeure montée. Et parce que “nomade” ne veut pas dire “sommaire”, les meubles et piliers sont ornés de délicats motifs colorés.
Dehors, au coin du feu, l’airag, le lait de jument fermenté, se sirote en compagnie des hôtes en guise de récompense. Lorsque l’aube s’annonce, cap sur les falaises enflammées (Flaming Cliffs) de Bayanzag. C’est ici que, outre des ossements, les premiers œufs de dinosaure furent mis au jour au XXe siècle, bousculant plusieurs décennies de certitude. De tels trésors se cachent-ils plus loin sous les dunes de Khongor ?
Déployées sur 900 kilomètres carrés, les pyramides de sable se rejoignent à dos de chameau, une bosse solidement ancrée dans le dos et l’autre entre les mains, à la manière des anciens voyageurs. Deux pas en avant, un pas en arrière : descendu de la monture, l’ascension est rude et lente mais à la hauteur de la récompense au sommet – une vision de premier matin du monde. Mêmes nuances ocre le lendemain à l’approche des formations de Tsagaan Suvarga. De loin, les falaises sculptées par le vent imitent une cité perdue. De près, le soleil révèle la supercherie ainsi que des dégradés de couleurs insoupçonnés.
Luca Zordan
À l’ouest dans la vallée
D’un monde à l’autre, la vallée de l’Orkhon transporte les visiteurs au cœur d’un relief vert ondulant, faveur de la rivière éponyme. Un environnement riche qui a séduit plus d’un peuple, à l’image de Gengis Khan qui, au XIIIe siècle, installa ici le centre de son empire, Karakorum. Nomadisme oblige, de cet important campement ne demeurent aujourd’hui que deux tortues de pierre noyées dans la plaine ; il faut se rendre au musée de la ville pour reconstituer l’histoire. Plus impressionnant, le monastère d’Erdene Zuu conserve trois temples dans son enceinte où s’affaire une foule de moines à la formidable coiffe safran, témoignage de l’influence du bouddhisme tibétain de ce côté des frontières.
À quelques mètres, le Centre des arts et de la calligraphie Erdenesiin Khuree propose, lui, une initiation au bitchig mongol. Le script traditionnel du pays, éclipsé une partie du XXe siècle par l’alphabet cyrillique, s’évertue à retrouver ses lettres de noblesse.
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Place aux jeux
Le retour vers la capitale ne se fait pas sans quelques arrêts, dont l’un au parc national Khustain Nuruu. Distingué par l’Unesco, c’est ici que fut réintroduit le fameux cheval de Przewalski (takh), une monture trapue à la crinière aussi rase que la steppe. Après une pause pour admirer un troupeau de yaks broutant d’un air revêche, l’heure sonne du retour à la vie urbaine.
Entourée de sommets et de rivières, la capitale permet de renouer avec quelques plaisirs coupables : immeubles en dur, sanitaires modernes, cuisine internationale. L’annonce du lancement des festivités de Naadam rappelle toutefois bien vite le voyageur en dehors d’Oulan-Bator. Chaque année, aux quatre coins du pays, ce festival voit s’affronter des Mongols déterminés au cours de quatre disciplines sportives qui forment l’identité nationale : tir à l’arc, lutte, équitation et… osselets !
Au fil de l’été, une myriade de jeux pointe avec, selon les localités, quelques variantes dans les épreuves. Dans le Bayan-Ölgii, à l’extrême ouest du pays, c’est début octobre que les Mongols kazakhs mettent la chasse à l’aigle sur le devant de la scène. Il tarde de faire la rencontre de ce peuple intrigant, emmitouflé dans de lourds costumes de peaux. Toutefois, pour la prochaine virée mongole, rendez-vous a déjà été pris avec un chamane du côté du lac Khövsgöl, au cœur du nord et de l’hiver.
Photographie de couverture : Akela from Alp to Alp / Stocksy