C’est une phrase de Jose Luis Borges à propos du tango : « Le tango, c’est un sentiment qui se danse ». Elle dit tout de l’accord profond entre l’Amérique du sud et la danse. On ne s’en lasse pas, tant elle sonne juste, tant elle est juste.
Le tango, c’est plus qu’une danse. C’est un poignard dans un fourreau de velours. Danse de l’exil et des séductions fortes –comme on dirait d’un breuvage, d’une drogue dure, d’un alcool. Buenos Aires est sa patrie. Il en a la culture, la structure, l’élégance étudiée. Et cependant, rôde en lui un air de pampa. Quelque chose de rude, de tellurique. Le Tango requiert peut-être la force d’un gaucho. Son goût pour l’éloignement aussi. Cette façon d’exil de l’âme amoureuse. Pulsation sensuelle et sauvage à la fois. Sens du rythme, du coup de cœur, de la syncope sont absolument requis. Il se danse à deux solitudes. Elles s’approchent, se jaugent, se défient, s’aimantent, fusionnent, renversent les rôles, se perdent dans un sanglot. Tout est dit dans un geste, un regard. Dans les accords d’un bandonéon. Carlos Gardel a composé parmi les plus beaux. On y revient toujours, comme à une source brûlante et vive. Ce chant du cœur qui danse dans les veines. Des sentiments… qui se dansent... encore. Corps à corps. Cœur à cœur. Et puis chacun de nos sens. C’est un beau mélange. Il n’y a pas de recettes pour aimer. Et pour danser ?
Essayons. D’abord, une basse. Forte, claire, puissante. C’est elle qui commandera les opérations, disons. Un piano. Des congas. Des timbales (une batterie sans grosse caisse, pour aller vite). Des metales (autrement dit : des cuivres). Violons et flûtes pour arrondir et élever le son. Des chants. Improvisés, d’abord sur le ton de la plainte avant de lâcher la bride. Tout est là. On peut varier la proportion des ingrédients à loisir. Inventer son propre son. Il faut surtout bien mélanger. Prendre Tito Puente comme inspiration, et se lancer. Le nom de ce mélange explosif ? Salsa !
Tall and tan and young and lovely, the girl from Ipanema is walking… Voilà, c’est la plus belle chanson du monde, elle est signée Antonio Carlos Jobim et elle est à elle seule une invitation à partir pour l’Amérique du Sud. Une invitation à danser. A rêver d’elle, l’héroïne de la chanson, avec au cœur, à l’esprit, les chorus et Stan Getz au saxophone. Reprise dans le monde entier, elle n’a jamais rien perdu de son charme initial. De sa profondeur aussi. A l’image de toutes les musiques, à l’instar de toutes les danses d’Amérique du Sud, la samba possède sa part d’ombre et de douleurs. Il vaut mieux parfois chanter, danser que de subir encore. S’échapper ainsi dans la danse, jusqu’à la transe. Oublier l’esprit. Choisir le carnaval. Carnavale. Littéralement : la chair prévaut… Ainsi, sensuelle et légère, la samba se présente dans un mouvement de hanches. Entre bonheur, douceur de vivre et mélancolie amère… Une vraie samba..., aux racines vagabondes, blanche de formes et de rimes, nègre bien nègre dans son cœur. La seconde plus belle chanson du monde ? Oui. Elle est de Pierre Barouh, qui la fit venir et découvrir en France. La samba demeure une chanson douce et une danse chaloupée, parcourue d’ombres. Celle abandonnée par les esclaves, du côté de Bahia…
Elle sait aussi accélérer au rythme des percussions, jusqu’à la possession, jusqu’à l’épuisement. Il n’est pas certain que cela puisse s’apprendre. Ce n’est pas une affaire de technique, peut-être de corps, et de liberté chèrement acquise. Un sentiment, qui se danse…
Et si nous dansions maintenant ?
Par
Stéphane Guibourgé