Il y a des villes dont la seule évocation fait rêver, et initie le désir d’ailleurs, depuis l’enfance, depuis toujours – la sonorité d’un nom, une carte postale jaunie, une croix sur un globe terrestre… Samarcande est de celles-là. Alors, on part pour l’Ouzbékistan, où on ira aussi voir Boukhara et Khiva.
Tachkent
Derrière les vitres du taxi, la ville nouvelle de verre et de béton contraste avec le musée des Arts appliqués, aménagé dans une maison traditionnelle, belle introduction aux métiers d’art ouzbeks, bois sculptés, tapisseries, broderies, ikats et céramiques – avant de partir à la source, dans la vallée du Ferghana.
Ferghana
Quartier des boulangers – les nan, grandes galettes, blondes et rondes, scellées en leur centre d’un motif floral, dorent dans des fours à bois. Un détour par Andijan, ville natale de Babour, descendant de Tamerlan et de Gengis Khan, dernier timouride, premier moghol. Marguilan, une fabrique de soie : élevage et étuvage des cocons, dévidage des fils de soie (le fil extrait d’un gros cocon peut atteindre 2 kilomètres de long !), dessin des ikats, confection sur les anciens métiers à tisser (dans un vacarme de claquement de bois et d’engrenage) : on assiste à l’ensemble du processus de fabrication de la soie. On rejoint Tachkent par les routes de montagne – le col de Kamtchik culmine à 2268 mètres – croisant des Lada et des Mercedes hors d’âge ; et on s’envole pour Noukous, ville créée par les Soviétiques en 1932 au milieu des steppes et des déserts, au milieu de nulle part. Clinquants bureaux gouvernementaux, immenses immeubles gris et carrés, terrain vagues inachevés : les avenues, larges et dépeuplées, n’en finissent pas de se dérouler droit devant. Et là, improbable, le musée des Beaux-Arts Igor Savitsky : une des plus belles collections de l’avant-garde russe, aussi riche que celle du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg – c’est un peu comme si on visitait une dépendance du musée d’Orsay au fin fond du Sahara ! Seuls les spécialistes connaissent les noms des peintres exposés – pas de Kandinsky, Chagall ou Malevitch, mais des artistes qui n’ont pas pu ou voulu fuir la terreur stalinienne, et qui l’ont payé de leur liberté ou de leur vie. Des milliers de toiles de peintres déportés au goulag, ou internés en hôpital psychiatrique, des milliers de toiles de toute première importance – que l’Ermitage voudrait aujourd’hui acquérir : sans elles, l’histoire de l’avant-garde russe n’est pas complète – et qui explosent de liberté, rassemblées là par Igor Savitsky, pour insuffler leur énergie au petit peuple karakalpak asservi par les Russes.
On laisse dernière nous l’architecture soviétique de Noukous – et le souvenir lumineux des toiles rassemblées par Savitsky – pour faire route à travers le désert de Khorezm, vestiges de sable des anciennes forteresses du désert, et nécropole de Mizdakhan, si vaste qu’elle semble être une ville.
Khiva
Fondée, selon la légende, à l’emplacement où Sem, fils de Noé creusa le puits de Keivah, forteresse de désert retranchée en ses murailles de briques. En 1770, les turkmènes rasent la ville, on la reconstruit avec l’ambition de rivaliser avec Boukhara, et l’urbanité résulte ici d’une accumulation de chef d’œuvres – saturation de l’espace de l’itchan khala, la ville à l’intérieur de ses murailles. Des palais baroques, des mosquées d’été, des harems, des medersas et des caravansérails : un festival de merveilles dans ce musée à ciel ouvert. Le minaret tronqué de kalta minor en est l’emblème – le khan Moukhammed-Amin voulu se rendre célèbre par l’édification du plus haut minaret de l’islam. Les travaux commencent en 1851, mais sont interrompus à la mort de l’ambitieux : reste ce curieux objet architectural – sa base est si large qu’on a du mal à imaginer la hauteur qu’il aurait atteint s’il avait été achevé ! Et l’incroyable mosquée du Vendredi : un vaste espace à toit plat, soutenu par 218 colonnes en bois d’orme sculpté (dont certaines datent du Xème siècle !) – au delà de la beauté des lieux, une retraite apaisante, dans une pénombre qui tranche avec l’éclat du soleil. Le Mausolée du poète Pakhlavan Mahmoud, saint-patron de la ville, est en fait un vaste complexe funéraire : ses disciples ont souhaité être inhumé avec lui. Route entre Khiva et Boukhara : paysages nus et arides, steppes illimitées du Kyzyl Kum « le désert de sable rouge ».
Boukhara
L’immense esplanade de la mosquée Kalon, conçue pour accueillir l’ensemble de la population masculine de la ville – soit plus de 10 000 personnes – un arbre unique planté en son cœur ; les oiseaux de paradis du fronton de la medersa Nadir Divanbegi, ornée ; les colonnes de sycomore de la mosquée du Vendredi : on ne sait où poser les yeux. La ville est aussi un tourbillon marchand, dans le lacis des allées couvertes du bazar à l’ombre des coupoles, entre ateliers de coutellerie et métiers à tisser.
Samarcande
Les bâtiments ondulent dans l’air chaud du début d’après-midi, petites maisons en torchis, sable et poussière tourbillonnant, brise qui amène les premières rumeurs de la ville, premier dôme turquoise rond puis un deuxième… et époustouflante place du Reghistan, ses trois immenses mosquées et medersas, coupoles bleues, mosaïques de faïence éblouissantes. La nécropole Chah-i-Zinda : une allée de tombeaux en brique, où reposent les proches de Tamerlan, et de chaque côté de ce long chemin funéraire, dentelle de céramique de tous les tons azur, du plus pâle au plus sombre, ajouré d’or, qui dessine en arabesque le nom d’Allah – apothéose de l’art céramique et kufique. La Mosquée Bibi Khanoum – du nom de l’épouse de Tamerlan – exhibe ses 400 coupoles, et son portail monumental. Longues heures passées à flâner dans les bazars, haltes célestes dans les cours carrés des medersas ou dans les chai-khoneh, maisons de thé, cours couvertes de treilles chargées de grappes, un monde de fleurs et de feuillages, césure d’avec les bruits de la ville et l’agitation du monde.