Il existe, au coeur de la France, un pays des merveilles. À l'histoire chevaleresque, tapissé de plateaux et creusé de rivieres aux eaux pures, il est chéri des pélerins qui, VIP, y méditent les yeux ouverts depuis des siècles.
Du grand art
Au bord de la Creuse, les chevalets n'ont pas déserté. Monet, Picabia, Guillaumin et les autres avaient déjà vu en cette vallée rocheuse une source d'inspiration inouïe - "un paysage si riche que le peintre ne sait où s'arrêter" (George Sand). Au fil de petites gorges champêtres, les flâneurs parviennent aux vestiges de la forteresse de Crozant, à l'église romane de Bénévent-l'Abbaye ou au fier château médiéval de Boussac. Le long de la Sédelle, les moulins à eau se succèdent sur fond de bruyère, le décor est impressionniste. Faille spatio-temporelle perdue dans la forêt de Larfeuil, le village abandonné de Clédat, aux chaumières de conte de fées, renaît. On a retrouvé sa fontaine miraculeuse par radiesthésie. Le massif des Monédières soigne lui aussi l'esprit, et le corps qui s'élance à vélo dans la montagne, à pied dans les landes odorantes plantées de gentianes, arnicas et genêts.
L'été, les lèvres violettes dénoncent les coupables: les myrtilles poussent ici comme du chiendent. Dans la Corrèze voisine, on ne quitte sa cabane perchée que pour rejoindre le plateau de Millevaches, aux écosystèmes précieux et fragiles. Un ensemble de landes, forêts et tourbières où vivent oiseaux migrateurs, loutres et moules perlières. Des vaches, oui, mais aussi des milliers d'étoiles et un calme à tout rompre. Plus au sud, la terre vit à gorges déployées : celles de la Dordogne, grandioses, verdoyantes et sereines, traitent avec la même bienveillance kayakistes rieurs et marcheurs pensifs.
Stéphanie Davilma
Des puys et des burons
De l'autre côté de la Dordogne s'étend l’onduleux parc des Volcans d'Auvergne, enfilade de puys, de terroirs riches, de repas roboratifs - saint-nectaire, cantal et la romanesque Salers. Ses fortifications, contre l'Anglais, font rempart contre le temps qui passe, préservant maisons a tourelles, fontaines et beffroi. Sur ma place de la mairie se tient toute l'année, neige ou UV, le marché hebdomadaire. Dans les estives, les burons longtemps délaissés ont repris du service. Emblématiques du Cantal, ces bâtisses rustiques aux murs de pierre et toits de lauze abritaient autrefois les gardiens de troupeaux et les fromages fabriqués sur place -farm-to-table avant l'heure. Gîtes conviviaux ou refuges intimistes, ils accueillent désormais les voyageurs. Inspirés par un infini de vert, yoga et retraites spirituelles s'invitent à flanc de volcan.
Au sud de Saint-Flour, les volcans se muent en hauts-plateaux aux vallées douillettes et gorges encaissées. Dans celles de la Truyère, le lac de Sarrans, fils d'un barrage créé par l'homme, a toute la beauté d'un vrai. Juché sur un paddle, on admire ici bien d'autres prouesses humaines. Le viaduc de Garabit-Eiffel n'est pas sans rappeler une certaine dame de fer...
Trait d'union entre Cantal et Aveyron, l'Aubrac, bucolique, déploie d'immenses pâturages habillés de fleurs sauvages, forêts et ruisseaux allant se jeter dans la vallée du Lot. Le plateau est un lieu de transhumance séculaire - animale et humaine. Les sentiers mènent d'un hameau attachant à un autre. Sourires, conseils, couteaux et fromage, les habitants ont dans leur ADN l'accueil et l'artisanat.
La nature servie sur un plateau
Terres calcaires séparées par de profonds canyons, les Grands Causses ont quelque chose d'extraterrestre. Le plus grand est le Larzac, épicentre seventies des contestations et utopies - "Des moutons, pas des canons". On y vit proche de la nature. "Baromètre du berger", la cardabelle, plante-emblème, fait la pluie et le beau temps - fleur fermée, pluie assurée. L'été sur les hauteurs, l'hiver au fond des vallées, les bêlements font partie du panorama auditif.
L'agropastoralisme, omniprésent, incarne la liberté, exige des terres ouvertes. Dans ces paysages minéraux et arides, le Moyen Âge a bâti des murs épais assurant fraîcheur et protection. Sous les porches de Saint-Jean-d'Alcas, près de Roquefort, résonnent encore les histoires chevaleresques des Templiers. La Couvertoirade s'érige en ambassadrice de l'architecture caussenarde du XVe siècle, ses hauts remparts offrent des vues saisissantes sur les Causses. À l'intérieur, on cuit le pain au four banal ancestral, on file la laine, on hydrate le pèlerin. Du côté de l'adorable village perché de Cantobre, toisant la Dourbie, l'escalade a fait son trou.
Dans l'ombre du mont Aigoual se dessinent les Cévennes, réserve de biosphère que se partagent Lozère, Gard et Ardèche. Steppes, landes et forêts, montagnes, vallées et hauts plateaux où cavalent cerfs élaphes et lézards ocellés, où barbotent loutres et castors, scrutés par l'aigle royal et le vautour fauve. Au cœur du seul parc habité du pays, les Cévenols donnent de l'âme à des hameaux isolés, accrochés aux vallées. Saint-Chély- du-Tarn, aux pont et cascade si photogéniques; Sainte-Énimie, tout en terrasses et voûtes dominées par un ermitage semi-troglodytique du Xe siècle.
Les grottes sont légion dans la région l'aven Armand, où a poussé une forêt de stalagmites, descend à plus de 60 mètres de profondeur. Spéléologie, donc, mais aussi via ferrata et canyoning. On bouge. Du roc des Hourtous au rocher du Cinglegros, les randonnées - épiques et contemplatives mettent le mollet à l'épreuve des dénivelés. L'effort est réconforté par la grandeur du décor. L'œil est effaré par tant de cirques. L'oreille, chauffée par le soleil, retrouve dans le bruissement des châtaigniers l'air d'un chant de troubadour.
Stéphanie Davilma
In the mood
Vous avez sans doute entendu parler de la sonothérapie, les effets relaxant des vibrations sonores des bols tibétains, mais saviez-vous qu’écouter tinter les cloches des salers, sur un plateau du Cantal, procure un effet similaire? Fermer les yeux, inspirer, ouvrir grand ses oreilles, souffler… Ces vallées sauvages, ces plateaux à perte d’horizon, se prêtent naturellement à la méditation. Oublier ses petites addictions, celle de l’écran en priorité, recalée par l’absence de réseau. Prendre au pied de la lettre le verbe “se ressourcer”, en laissant la rivière dénouer les tensions. Et si ce n’est pas suffisant, il n’est jamais difficile de trouver dans cette “France secrète” saunas, bains nordiques, massages.
Une fois fait le plein d’oisiveté, partir randonner sur l’épaule des géants, à la fraîcheur des frondaisons. Varier les plaisirs et pédaler vers les sommets, l’effort diminué par la fée électricité. Rebondir en raft, filer en kayak, appliquer le fruit de ses séances d’escalade en salle sur du vrai rocher. Enfin, ce grand bain de nature n’exclut jamais de cultive son jardin intérieur : le cadre invite à la lecture, les villages, aussi discrets soient-ils, en disent long sur la culture régionale et, bien sûr, les sites archéologiques foisonnent. Signe que nos ancêtres trouvèrent là, eux aussi, un lieu idéal de vie.
Photographie de couverture : Jérôme Galland