France

Méditerranée confidentielle

Méditerranée confidentielle

À l’ombre des mondanités estivales, la Côte d’Azur, tout en couleurs et parfums, invite à suivre les chemins d’une Provence épicurienne. Derrière ses clichés, le Sud se réinvente avec tact et discrétion.

 

On a tôt fait de l’oublier : les fondateurs de la villégiature en Méditerranée étaient des hivernants. Fin XVIIIe, les premiers voyageurs britanniques viennent déjà chercher le soleil sur la Côte d’Azur. Deux siècles plus tard, si le culte du glamour azuréen façonné autour des années 1960 – le film La Piscine (1969), BB… – reste profondément estival, la culture, elle, n’a que faire des saisons.

Expositions et événements en tout genre sont l’apanage de l’hiver méditerranéen. La nature non plus n’hiberne pas : palmiers, pins et garrigue jouent du vert; le mimosa en fleur répond aux citrons débordant déjà des étals; le bleu de la mer scintille…

Nicolas Quiniou / Kintzing 

 

Question de point de vue

Saint-Paul-de-Vence, veille de Noël. Le soleil bas chauffe le visage. Après avoir poussé la porte de quelques galeries au hasard des ruelles désertes, on savoure en terrasse la quiétude d’un village rendu à lui-même, le regard tourné vers les montagnes. En contrebas, la Fondation Maeght se devine à travers les pins et les mélèzes touffus. Première fondation d’art indépendante en France (1964), elle expose les œuvres de virtuoses des XXe et XXIe siècles – Calder, Miró, Chagall, Braque. Depuis Bormes, la route du mimosa a traversé l’Estérel pour rejoindre les hauteurs de l’arrière-pays niçois et les flacons de la coquette Grasse – au même titre que la rose et le jasmin. Fragonard, Galimard et Molinard ont élevé leurs fragrances au rang d’art.

En rebroussant chemin, on s’arrêtera peut-être à Tourrettes-sur-Loup, où la timide violette résiste, elle aussi, bien à l’hiver. Depuis la porte sud du village médiéval, sur l’ancien chemin de ronde, le panorama s’ouvre sur toute la côte. Par temps clair (souvent donc), on devine la Corse. De Marseille à Menton, le littoral immuable esquisse une courbe, celle d’un sourire.

 

Au fil de la côte

Au diapason de l’agenda culturel hivernal, on (re)découvre un visage moins vernissé de la Côte d’Azur. Marseille, la radieuse phocéenne, s’affiche gouailleuse au marché des Noailles et contemporaine au Mucem. Ce dernier a soufflé sa dixième bougie en 2023 s’entourant de grands noms et de nouveaux espoirs de la littérature qui mettent en lumière les identités plurielles de l’espace méditerranéen.

À quelques encablures, le parc national des Calanques se refait une santé. Il y a quelque chose d’irréel à fouler hors saison ces paysages grandiloquents d’ordinaire pris d’assaut. Même sentiment privilégié en faisant route vers le Var et ses cités emblématiques. Passées Toulon et Hyères, sur les contreforts du massif des Maures, les vignobles dégringolent jusqu’à la mer. À peine quelques bateaux mouillent devant Port-Cros et Porquerolles, laissant les îles aux poignées de promeneurs chanceux. À l’arrivée à Saint-Tropez, personne à la terrasse du Sénéquier. Les hivernants sont là pour voir, pas pour être vus. Nul besoin de jouer des coudes pour poser sa serviette autour de Sainte-Maxime ou Saint-Raphaël.

Plus loin, février rime avec Carnaval de Nice et Fête du citron de Menton, seules entraves consenties au calme hivernal. Les locaux auront vite fait de retrouver leurs marchés fleuris et leurs bains de mer quotidiens. En mai, ce sera au festival de Cannes de lancer les mondanités à grand renfort de flashs et de paillettes.

Julia Nimke 

 

Un été en Provence

10 heures : l’air est déjà doux sur le quai de la gare d’Avignon. En ce début juillet, pas un brin de mistral pour faire voler les chapeaux. Une chose est sûre : le ciel d’ici est vraiment plus bleu qu’ailleurs. Les cigales interprètent la bande-son parfaite pour se mettre en condition. L’été sera provençal ou ne sera pas. Les longueurs nonchalantes, la chaleur, le vent dans les pins parasols, les parties de pétanque sur les places ombragées de platanes… La Provence inspire. Cézanne et Van Gogh en ont fait des toiles, Giono et Bosco des récits, Pagnol toute une œuvre. Si ses festivals In et Off, rendez-vous annuels du théâtre et du spectacle vivant, servent de jolis prétextes pour rendre visite à la cité des Papes, on s’empresse de s’en extirper pour gagner les collines joyeuses du Luberon.

Début juillet, les champs de lavande ondulent à l’infini. Non loin de l’abbaye de Sénanque, le gouffre de Fontaine-de-Vaucluse garde l’une des plus importantes sources d’Europe, qui jaillit impétueusement aux intersaisons pour se faire plus paisible en été. En descendant le cours de la Sorgue, on atteint rapidement les roues à aubes de l’Isle-sur-la-Sorgue. Chaque dimanche, le marché provençal se double d’une grande brocante où chiner la perle rare, avant de trinquer de toasts de tapenade au Café de France. Dimanche prochain, on se donnera rendez-vous au marché de Lourmarin pour faire le plein de melons juteux, huile d’olive et fruits confits. On se racontera les promenades en eBike le long de l’Aigue Brun et jusqu’à Goult ou Joucas, les traces de terre battue après le sentier des Ocres de Roussillon, l’émotion en apercevant le village perché de Gordes, le coucher de soleil depuis la terrasse d’un restaurant de poche de Bonnieux…

Avant de partir, rendez-vous au Château La Coste. Le domaine-ovni cultive de concert vins en biodynamie, architecture et art moderne. Starchitectes et land artists du monde entier – Jean Nouvel, Tadao Ando, Frank Gehry, Louise Bourgeois, Ai Weiwei, Oscar Niemeyer – y ont semé leurs œuvres.

 

Le vent nouveau des Alpilles

En enjambant la Durance, on laisse le mont Ventoux dans le rétroviseur en direction d’une autre éminence : la montagne Sainte-Victoire. De l’autre côté de l’étang de Berre, le massif des Alpilles garde de nombreux témoins des civilisations celte, grecque et romaine. Mais ces terres ne se contentent plus de ce patrimoine historique. Elles dictent aujourd’hui les codes d’un nouvel art de vivre provençal, qui se décline entre les murs de mas discrets jouant la carte du cosy contemporain, dans les assiettes locavores de tables souvent primées, les boutiques déco de Saint-Rémy…

Au pied du village phare des Baux, les carrières de calcaire se sont même muées en site arty aux installations digitales immersives. À quelques kilomètres à l’ouest, chaque été, c’est au tour d’Arles de se retrouver sous les projecteurs à l’occasion des Rencontres de la photographie. Des dizaines d’expos investissent les lieux patrimoniaux, de l’Espace Van Gogh au Jardin d’été, en passant par l’abbaye de Montmajour. De l’autre côté du Rhône, les étangs de Camargue, les arènes de Nîmes et le charme toscan d’Uzès ouvrent quant à eux la porte d’un autre Sud, celle de l’Occitanie.

Pauline Chardin 

 

In the mood

Le mistral se calme enfin, vous enfilez vos meilleures baskets et filez sur les chemins des Calanques, aux pieds de dentelles de calcaire. Le soleil darde, les buis parfument l’air sec, la Grande Bleue, omniprésente, vous éblouit même en plein hiver, comme hier les collections du Mucem soufflaient à vos oreilles la richesse des civilisations qui l’ont bordée. Déjeuner au village des Goudes, chez Tuba les pieds dans l’eau, une invitation aussi à passer la nuit dans un cabanon car derrière son caractère volubile, Marseille aime la discrétion et n’a pas attendu la tendance pour inventer l’art de vivre caché. En  été, c’est au cœur des terres
provençales qu’il faut viser pour trouver la tranquillité. Vous cultivez l’art du contre-courant : être matinal sur les marchés du Luberon, comme dans les galeries des Baux de Provence, goûter à la douceur d’une huile d’olive directement au moulin quand d’autres se ruent en terrasse, glisser à la fraîcheur de l’abbaye de Sénanque quand sonne l’heure de la sieste, enfin, lorsque la chaleur et la rumeur de la foule montent encore d’un cran, rejoindre la piscine d’un écrin bien choisi.

 

Photographie de couverture : Stéphanie Davilma